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Stéphane Place, Sandrine Prioul et Arthur Pereira, édité par Gauthier Delomez , modifié à
Avec le changement climatique, les viticulteurs français sont dans l'obligation de s'adapter pour continuer à produire dans les années à venir. Certains terroirs historiques en pâtissent, tandis que de nouvelles régions s'y mettent. Europe 1 est allée à la rencontre de viticulteurs installés dans le Bordelais, dans la Manche et en Angleterre.
REPORTAGE

La viticulture française à l'épreuve du changement climatique. L'Organisation internationale de la vigne et du vin a confirmé, mercredi, la baisse de la production viticole mondiale en 2021 pour la troisième année consécutive. En France, les rendements ont ainsi baissé de 19% par rapport à ceux de 2020, en raison de phénomènes climatiques extrêmes comme les gels et les pluies intenses. Europe 1 a rencontré des viticulteurs français du Bordelais, de la Manche et aussi installés en Angleterre pour comprendre comment ces professionnels s'adaptent au réchauffement climatique.

Dans la région bordelaise d'abord, les vignerons qui travaillent dans un domaine de 25 hectares à Lussac, en Gironde, ont opté pour des solutions naturelles, moins chères que les technologies de pointe, pour protéger leur exploitation. Ici, pas de tours antigel qui peut coûter jusqu'à 50.000 euros, pas de bougies pour lutter contre la baisse brutale des températures.

Dans le bordelais, des solutions naturelles pour garder la fraîcheur au sol

Olivier Chaigneau privilégie par exemple la taille tardive de la vigne pour préserver au maximum les bourgeons des coups de froid dévastateurs de ces derniers printemps. "On avait l'habitude de finir fin janvier de tailler, et on avait traditionnellement des vignes qui commençaient à démarrer courant avril", explique-t-il à Europe 1. La méthode de travail a ensuite changé. "Depuis quelques années, les vignes démarrent fin mars. Si on les taille en mars, elles vont démarrer plus tard. L'idée est de venir tailler les vignes les plus sensibles au gel dans cette période-là", indique le viticulteur.

Au pied des vignes, on plante des semis, des légumineuses, pour obtenir un tapis végétal très utile face au réchauffement, voire la canicule, mais il faut trouver le bon équilibre. "Garder de la fraîcheur au sol pour lutter contre les effets de canicule", détaille Olivier Chaigneau. "En fait, le couvert d'herbe crée une isolation. On est sur des terroirs d'argile qui chauffent assez vite et la nuit, la terre restitue cette chaleur", poursuit le vigneron. Dans le vignoble bordelais, de plus en plus de haies apparaissent pour bloquer les courants d'air favorisant le gel.

Le pari du vin en Normandie, au pays du cidre

Malgré ces changements de méthode de travail, la question de la survie de la production viticole dans la région est posée. La douceur du climat bordelais pourrait se déplacer jusqu'en Normandie. Faire du vin au pays du cidre, c'est le pari que tente un vigneron, ancien restaurateur parisien. Depuis deux ans, il entretient des cépages du sud de la Loire. À Saint-Jean-de-la-Haize, en pleine baie du Mont-Saint-Michel, Sébastien Arnaud dispose de 9.500 pieds de vignes (chenin, chardonnay) de bientôt deux ans.

"Il y a deux ans, on me regardait un peu du coin de l'œil en me prenant pour un hurluberlu parisien avec un accent sudiste qui venait de la vigne. Maintenant, ça commence à se démocratiser", précise-t-il au micro d'Europe 1. Des terres de granit, de schistes, autant de coteaux intéressants pour une quarantaine de néo-vignerons normands, affirme-t-il. "On s'est rendu compte que sur les dix dernières années, on avait gagné un degré", rapporte Sébastien Arnaud.

Le vigneron normand raconte sa façon de travailler. "La chance qu'on a, c'est qu'en démarrant, on adapte notre matériel végétal à nos sols et à nos conditions météo nouvelles, alors que les autres ont des problèmes, car ils ont des vignes trop précoces parce qu'il fait trop chaud. Cela ouvre le champ à de nouveaux terroirs comme le nôtre", souligne le vigneron normand. Son objectif est de sortir 10.000 à 12.000 bouteilles d'un vin blanc qu'il promet ciselé, fin et long en bouche.

La qualité des sols et le climat convoités de l'Angleterre

D'autres viticulteurs tentent l'aventure plus au nord encore, en Angleterre. C'est le cas de la maison de champagne Taittinger qui s'y est implantée en 2017. Elle cultive 49 hectares de pinot noir et de chardonnay dans un territoire aujourd'hui convoité, alors qu'il était inexploitable au siècle dernier. "Cette idée d'aller s'implanter en Angleterre est liée à la fois à la qualité des sols, et on peut dire effectivement que le réchauffement climatique nous permet d'avoir des températures douces", précise à Europe 1 Vitalie Taittinger, la présidente de cette grande maison.

Ce climat, "assez semblable à celui de la Champagne il y a une bonne dizaine d'années", et la qualité du sol permettent aussi à la maison "d'exploiter plus sereinement le vignoble". "Cela fait trois années que nous vendangeons", indique Vitalie Taittinger, "et là, nous avons commencé à mettre en bouteille. Ce qui veut dire que nous pourrons mettre nos vins sur le marché probablement à partir de 2024-2025."

Forte de cette première expérience, la maison cherche également "d'autres terroirs, y compris dans le Kent", avec "une certaine exigence aussi en matière de terroir". "Nous sommes sur un schéma qui s'inscrit vraiment dans le temps long", conclut la présidente de la maison de champagne. Un réchauffement climatique qui fait donc des heureux plus au nord, et qui oblige les producteurs historiques, notamment dans le Bordelais, à revoir leurs méthodes de travail pour continuer de sortir des bouteilles de qualité.