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Anaïs Huet
Le docteur Éric Kariger, qui fut pendant six ans le médecin en charge de Vincent Lambert, dénonce sur Europe 1 "la déraison" des défenseurs de son maintien en vie.
INTERVIEW

La cour d'appel de Paris a ordonné, lundi soir, la reprise de l'alimentation et de l'hydratation de Vincent Lambert, soigné au CHU de Reims, traitements qui avaient été arrêtés le matin même. Cette décision a provoqué des scènes de liesse chez les partisans du maintien en vie de cet homme, en état végétatif après un accident de la route survenu en 2008. Les avocats des parents ont notamment hurlé : "On a gagné !" à l'annonce de la nouvelle, et ont salué une "remontada". Ces réactions n'ont pas manqué de susciter le malaise dans l'opinion publique, mais aussi dans le corps médical.

"Ceux qui défendent certaines causes ne se rendent pas compte qu'à travers leur déraison et leur passion - dont la violence a été d'une mesure encore jamais atteinte dans l'affaire Lambert - commencent à me donner des frissons, et à me rendre inquiet", a estimé sur Europe 1 le docteur Éric Kariger, qui fut pendant six ans le médecin en charge de Vincent Lambert. 

"Cet homme fragile n'aurait pas les droits d'un citoyen autonome"

Au micro de Matthieu Belliard mardi soir, l'ancien chef du service de soins palliatifs du CHU de Reims a regretté qu'"un certain nombre, en voulant défendre des valeurs, vont obtenir tout le contraire." Il s'explique : "Défendre le vulnérable, c'est rappeler que le vulnérable doit avoir au moins les mêmes droits qu'une personne non vulnérable. On s'aperçoit aujourd'hui, à travers la prolongation de la situation de Monsieur Lambert, que cet homme fragile n'aurait pas les droits d'un citoyen autonome. C'est dramatique."

"Je voudrais rappeler que l'on a un corps médical de haut niveau de compétence, à tous les étages de la fusée dans ce pays, et que Vincent Lambert a bénéficié des expertises nationales et internationales les plus élevées. Je fais confiance à l'intelligence collective de notre nation pour ne pas être dupe de la manipulation qui est régulièrement mise en place aux moments les plus tendus", estime le docteur Kariger.

"L'obstination déraisonnable est un interdit déontologique"

Le médecin a entendu lui aussi les arguments et propos tenus par les parents de Vincent Lambert. Devant le CHU de Reims lundi matin, Viviane Lambert, la mère de Vincent, déclarait : "Mon mari qui est médecin m'a dit : 'On enterre Hippocrate. C'est un crime, c'est tout". "Le cœur de métier d'un médecin, c'est de tenter de sauver des vies", lui rétorque docteur Eric Kariger. "Ce n'est pas dans notre cœur de métier de lâcher prise. Sauf que depuis Hippocrate, l'obstination déraisonnable est un interdit déontologique, avant d'être un interdit légal et un interdit des médecins croyants." "Autant il y a pu avoir un temps du doute et de la nécessité de mener des expertises médicales et judiciaires, autant aujourd'hui, il y a une obstination déraisonnable", poursuit-il.

>> De 17h à 20h, c’est le grand journal du soir avec Matthieu Belliard sur Europe 1. Retrouvez le replay ici

Face à ce qu'il considère comme une "brèche" dans le droit, ayant permis la reprise de l'alimentation et de l'hydratation de Vincent Lambert, le médecin déplore "le temps judiciaire anormalement long, anormalement complexe." "La médecine est complexe. Mais je me suis aperçu hier (lundi) que la justice l'était au moins tout autant", conclut-il.