Vers un assouplissement de la loi Evin dans le sport ?

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Théo Maneval, édité par Grégoire Duhourcau

Les marques d'alcool pourraient faire leur retour sur les tenues des athlètes de tous sports dans le but de sauver les clubs sportifs en péril. C'est le sens d'une proposition de loi déposée à l'Assemblée par une députée Les Républicains. 

L'idée de Valérie Beauvais, députée Les Républicains, alarme déjà le milieu médical. L'élue de la Marne dépose une proposition de loi à l'Assemblée visant à assouplir la loi Evin pour permettre à des marques d'alcool de sponsoriser à nouveau des clubs, amateurs comme professionnels, en s'affichant sur leurs maillots.

Cette députée de Reims met en avant des raisons financières mais pose quand même quelques conditions. Notamment, pas d'alcool forts dans ces publicités, et plutôt la mise en avant d'un côté "terroir". Sur Europe 1, elle évoque des "publicités sur les vins locaux. En bordelais, ce sera du Bordeaux, ici c'est le Champagne et les brasseurs, avec la bière." Il existerait par ailleurs une contrepartie. Les clubs qui recevraient de l'argent de tels sponsors devraient en reverser une partie "à des associations qui luttent, évidemment, contre la dépendance à l'alcool".

Aider des clubs sportifs en difficulté

Cette députée justifie son idée par une logique philanthropique, à savoir aider les clubs sportifs en grande difficulté financière. C'est une réalité, ils sont de plus en plus nombreux. Les crédits du ministère des Sports sont en baisse, donc les subventions versées aux clubs aussi. Dans toutes les régions de France, des clubs amateurs alertent sur leurs difficultés à garder leurs salariés ou même leurs athlètes !

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A Reims, le club d'athlétisme de la ville a fait éclore de nombreux champions comme le marcheur Yohann Diniz, ou le coureur Mahiedine Mekhissi, cinq fois champion d'Europe et triple médaillé olympique du 3.000 m steeple. Faute de moyens, le dirigeant du club, Gilbert Marcy, a dû se résoudre à le laisser partir.

"On est obligé de serrer dans tous les sens"

"On est en situation d'étouffement progressif. On a perdu en 4 ans plus de 15% de nos subventions publiques. Nos charges, nos frais de déplacement, ont augmenté de 10%. Ça fait en fait un quart de notre budget qu'il faut financer en plus. On est obligés de serrer dans tous les sens. Mahiedine, on n'avait plus d'argent à lui donner. On l'a laissé partir ! C'est vraiment terrible", confie-t-il. Il se montre donc très favorable à l'idée d'accueillir des marques d'alcool comme sponsors. "Tout ce qui peut nous ramener de l'argent, bien sûr !"

La perspective est logiquement alléchante pour les clubs amateurs. Mais même les plus gros clubs, les professionnels, réclament cette mesure depuis des années. Cela fait longtemps que dans le football, ils dénoncent une "distorsion de concurrence" par rapport aux clubs anglais, italiens, ou espagnols qui ne sont pas soumis à cette règle. 

A quelques pas des pistes du club d'athlétisme, au centre d'entrainement du Stade de Reims, huitième de Ligue 1 et qui rêve d'aller plus haut, le président Jean-Pierre Caillot a déjà noué des liens avec toutes les maisons de champagne de la région. "Mais je ne peux pas en tirer le maximum d'argent", dit-il.

"Ce n'est pas parce qu'on va porter le nom d'une marque de champagne que les gens vont se mettre à devenir plus alcooliques"

"Un club comme le Stade de Reims cette année fait partie des quelque clubs de Ligue 1 qui jouent sans publicité sur leur maillot. Si on nous avait ouvert la porte des maisons de champagne, on aurait peut-être trouvé le (sponsor) ventral cette année", explique Jean-Pierre Caillot. "J'estime que c'est un manque à gagner pour le Stade de Reims d'environ 2 millions d'euros. C'est quelque part une grande hypocrisie, parce que ce n'est pas parce qu'on va porter le nom d'une marque de champagne que les gens vont se mettre à devenir plus alcooliques", juge-t-il.

Cela d'autant qu'il existe d'autres sponsors qui peuvent poser question dans le sport, comme McDonald's ou Coca-Cola, qui s'affichent en grand pour les J.O ou pour la Coupe du monde, sans être franchement recommandés par les nutritionnistes.

De leur côté, les médecins et les autorités de santé ne sont pas d'accord et font part de leur désapprobation. Certains dénoncent une nouvelle tentative de pression du lobby des alcooliers. Les addictologues rappellent que la loi Evin a déjà été bien assouplie. On peut déjà consommer de l'alcool ponctuellement, dix fois par an, dans les stades, sur dérogation. Et à ceux qui disent donc que "ce n'est pas de voir une marque de vin sur un maillot à la télé qui va rendre les gens alcooliques", voici ce que répond Franck Lecas, juriste à l'Association nationale de prévention en addictologie : "Ça augmente bien les risques."

Un risque chez les adolescents

C'est le cas notamment chez les adolescents. "Ça a un impact sur l'image que peut avoir l'alcool pour ces jeunes, et ça a surtout un impact sur leurs agissements. Il y a des études qui le montrent. Un gamin qui voit le sponsor à outrance, comme c'est le cas aux Etats-Unis, va avoir tendance à avoir un accroissement des comportements à risque (notamment du "binge-drinking", le fait de boire très vite) plus jeune. Il va aussi rentrer en consommation plus jeune."

L'alcool, c'est 41.000 décès par an, rappelle aussi l'Académie nationale de médecine. D'où la polémique autour de cette proposition. La ministre des Sports, Roxana Maracineanu, a déjà fait savoir qu'elle n'était pas favorable à cet assouplissement de la loi. Mais les avis divergent au sein du gouvernement. La députée Les Républicains Valérie Beauvais espère en tout cas faire débattre son texte d'ici la fin de l'année à l'Assemblée.