Les escrocs se faisaient passer pour le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. 1:31
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Marion Dubreuil, édité par Antoine Terrel , modifié à
Sept hommes comparaissent à partir de mardi devant le tribunal correctionnel de Paris pour escroquerie en bande organisée et association de malfaiteurs. Ils sont soupçonnés d'avoir usurpé l'identité et le visage du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian entre 2015 et 2017, pour obtenir des fonds en prétextant des opérations militaires secrètes.

Ils sont soupçonnés d'avoir empoché 60 millions d'euros. À partir de mardi, sept hommes soupçonnés d'avoir escroqué de riches personnalités en se faisant passer pour le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian sont jugés à Paris. Bien rodée, l'arnaque se faisait par téléphone. Se faisant passer pour le ministre de la Défense ou bien pour des membres de son cabinet, les escrocs prétextaient des opérations militaires secrètes, l’achat d’armes ou bien encore la libération de soldats ou de journalistes otages, pour solliciter des fonds auprès des ambassades du monde entier, des chefs d’état étrangers ou bien encore de grands PDG.

Le cardinal Barbarin, le PDG de Total, le roi des Belges ou bien encore la directrice de l’Unesco : tous ont été sollicités entre juillet 2015 et juillet 2017. Pour gagner leur confiance, l’un des malfaiteurs enfilait un masque en silicone à l'effigie du ministre et s’exprimait depuis un décor de bureau avec drapeaux français et européen en fond. Il offrait via une mauvaise connexion Skype l’illusion d’être en ligne avec le ministre de la Défense en personne.

"Une atteinte à un ministre et donc à l'État"

Jean-Yves Le Drian et une partie de son cabinet à l’époque se sont constitués parties civiles au titre de l’usurpation d’identité. "Au-delà de l’atteinte à un homme, il y a une atteinte à un ministre et donc à l’État", estime leur avocate Delphine Meillet. En deux ans, plus de 150 tentatives ont été déjouées et le gang d’escrocs a fait finalement trois victimes pour un butin évalué à 60 millions d’euros. Du simple "canular", ces escroqueries sont devenues plus "professionnelles" à compter des attentats du 13 novembre 2015, "lesquels ont servi de supports aux escrocs qui n’ont pas hésité à se servir de ces tragiques événements pour tenter de soutirer des fonds", expliquent les juges dans leur ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.

La première victime est le prince Aga Khan IV, chef spirituel des musulmans chiites ismaéliens. Il est contacté en mars 2016 par le chef de cabinet du ministre de la défense, puis Jean-Yves Le Drian en personne, pour apporter son aide au gouvernement français dans le cadre d’une opération secrète. Le prince musulman reçoit cinq courriers signés du ministre avec des ordres de virements. Il s’exécute pour un montant de 20 millions d’euros avant de déposer plainte.

La deuxième victime est Corinne Mentzelopoulos, la propriétaire des champagnes Château Margaux. Pour l’amadouer, le directeur de cabinet de Jean-Yves Le Drian oriente la discussion sur des détails de sa vie privée, comme l’amitié entre son père et le premier ministre pakistanais. Il lui demande 40 millions d’euros pour la rançon de deux otages français en Syrie en lui intimant le secret absolu. Elle ne sera finalement lésée que de trois millions d’euros. Enfin, l’homme d’affaires turc Inan Kirac est la dernière victime. En décembre 2016, il accepte de verser 45 millions d’euros aux malfaiteurs. Tous ont déposé plainte, et seul le prince Aga Khan ne s’est pas constitué partie civile.

Le cerveau présumé s'apprêtait à se faire passer pour Albert II de Monaco

Certains interlocuteurs ont pourtant été soupçonneux dès le départ. Contacté en juillet 2015, Ali Bongo, le président du Gabon, s’étonne que Jean-Yves Le Drian le vouvoie au lieu de l'habituel tutoiement. Il rappelle son secrétariat et découvre rapidement le pot aux roses. La directrice financière de la Chambre de Commerce et d’Industrie des Landes, qui échange via Skype avec le ministre de la Défense sur le cas d’une Française otage au Mali, enregistre les conversations et dépose plainte le jour-même.

Dès le départ, le ministère de la Défense a fait un signalement à la justice pour usurpation d’identité. Le 20 avril 2016, une information judiciaire était ouverte, et Gilbert Chikli, déjà connu pour une arnaque similaire aux faux ordres de paiements surnommée "l’escroquerie au président", était dans le collimateur des enquêteurs. Considéré comme le cerveau présumé du gang, il a été interpellé en Ukraine en août 2017. Il s’apprêtait à commettre le même type d’escroqueries avec le visage du prince Albert II de Monaco.