"Tout le monde peut apporter quelque chose" : Louisa, 47 ans, raconte son combat associatif dans les quartiers

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Théo Mercadier
À 47, Louisa a créé l'association "Casse ta routine", porte parole des personnes stigmatisées dans les quartiers Nord de Nantes. Elle témoigne au micro d'Europe 1 sur ce qui la pousse chaque jour à lutter aux côtés des femmes esseulées, et des jeunes désœuvrés, pour raviver en eux l'espoir d'une intégration dans la société.
TÉMOIGNAGE

Louisa a 47 ans. Cela fait plus de vingt ans qu'elle a quitté son petit village du Sud pour sillonner les quartiers prioritaires du Nord de Nantes à la recherche de personnes désespérées par une société qui les rejette. Ecoute, conseils, accompagnement : son association "Casse ta routine" donne du temps à ces gens pour les tirer ce leur détresse. Elle aide aussi les jeunes à se sortir d'une délinquance vers laquelle tout les oriente, quand le chômage est leur seul autre horizon.

"Je ne sais pas si on naît avec la solidarité en nous ou si on le découvre plus tard... Très jeune déjà j'avais cette âme sensible et l'envie d'aider, puis en grandissant j'ai découvert des choses comme l'injustice et plein de choses que je ne comprenais pas. C'est de là qu'est venue mon envie de vraiment faire quelque chose d'utile. Vers 18 ans je me vouais déjà aux autres, plus tard j'ai été aide à domicile pour aller au plus proche des gens. J'aidais plutôt des personnes âgées, et j'ai appris qu'elles avaient plus besoin d'être écoutées que d'être aidées pour les tâches ménagères. J'ai alors découvert de la solitude chez ces personnes.

En parallèle, je me suis impliquée dans un quartier prioritaire du Nord de Nantes où j'ai débarqué à 22 ans et qui s'est enfoncé dans la difficulté. J'ai voulu poursuivre en aidant bénévolement les gens dans la rue ou ceux qui me sollicitaient parce qu'ils voyaient en moi une facilité d'approche. J'étais déjà investie et c'était donc plus facile pour eux de venir vers moi. Je suis issue du Sud de la France où le concept de quartier n'existe pas : on vit en petit village, tout le monde se connaît et est solidaire. Je débarque donc à Nantes qui est une grande ville et découvre les cités. J'en avais entendu parler à la télé, avec tout ce qui s'y passe... J'y ai trouvé des personnes avec un élan de solidarité et y ai découvert des difficultés, qui malheureusement n'ont pu que s'amplifier avec les années. 

" J'étais déjà investie et c'était donc plus facile pour eux de venir vers moi. "

Beaucoup de choses m'ont heurtée. L'isolement des personnes de tout âge... Avant, je pensais que la solitude était vécue par les personnes âgées, et là je découvre qu'elle touche aussi des femmes en famille mono-parentale, des jeunes, des personnes désespérées dont le discours montre qu'elles ne croient plus en rien et qu'elles se sentent abandonnées. J'ai aussi découvert des institutions, rencontrées grâce à mon bénévolat sur le territoire, qui étaient en décalage avec ces personnes-là. Je me suis dit "c'est pas possible, il y a une fissure, une grande fissure, ça ne peut que se dégrader si on n'arrive pas à faire remonter des messages et faire part du désarrois de ces personnes". 

Pour vous dire, je suis concernée sur tous les domaines : en tant que femme je suis concernée par le combat des femmes et en tant que mère de quatre enfants je suis concernée par le combat de la jeunesse. À travers les gens que je côtoie tous les jours je vois mon grand-père, mon père, mon enfant... Par ma force je me suis dit qu'il fallait que je sois une interlocutrice pour leur donner envie d'exister et pour porter leur parole. 

Plus ça allait et plus je découvrais la délinquance et une jeunesse désœuvrée. C'est un constat que j'ai vu se multiplier dans beaucoup d'endroits. On m'a demandé : "mais que font ces jeunes à l'heure où ils pourraient être à l'école, en formation, au travail tout simplement ? ". Je me pose encore la question de tous ces dispositifs mis en place pour les jeunes, dont on entend parler dans les quartiers prioritaires mais pour lesquels je ne voyais pas de résultats. Je ne voyais pas les choses évoluer. Mais en côtoyant ces jeunes, en les accompagnant, j'ai mieux compris comment ils en étaient arrivés là, pourquoi ils ne croyaient plus, pourquoi ils n'avaient plus d'espoir. On dit d'eux "pourquoi est-ce qu'ils s'expriment que par la violence, en brûlant des voitures, en cassant des lieux ?". Peut-être parce qu'ils ne se sentent pas écoutés, parce qu'ils n'ont que ce moyen-là pour exister : c'est comme ça qu'on entend parler d'eux.

Entendu sur europe1 :
" En côtoyant ces jeunes, j'ai mieux compris comment ils en étaient arrivés là "

Pour la plupart d'entre eux, entrer dans l'économie parallèle est la seule solution. On est parfois face à des familles nombreuses dans les cités HLM où tout le monde est entassé les uns sur les autres, où le père est au chômage comme le grand frère, diplôme ou pas, parce qu'il n'a pas trouvé de travail. Ce sont alors les deux seuls exemples qu'a un jeune. Il voit à travers ces exemples une société qui ne lui donne pas l'occasion de s'intégrer par le travail. Il se dit "mon grand frère qui m'encourageait de continuer à l'école, qui s'est battu, qui a un diplôme et est qualifié, ce grand frère n'arrive pas à trouver du travail". C'est la désespérance pour les plus petits qui n'ont pas d'exemples positifs. Ce sont ces barrières que les jeunes ont vécu lorsqu'ils ont voulu se réinsérer. Il faut aussi rentrer dans un cadre, ce qui les énerve de plus en plus. La discrimination raciale existe mais les vais problèmes sont sociétaux. Ces jeunes subissent des discriminations sur leurs origines mais aussi sur leur lieu de vie, avec une adresse d’habitation qui devient un frein, qui stigmatise. 

" La discrimination raciale existe mais les vrais problèmes sont sociétaux. Ces jeunes sont discriminés sur leurs origines mais aussi sur leur lieu de vie "

Je me suis donc dit qu'il était nécessaire d'avoir un levier entre eux et les institutions. Pour leur faire sentir qu'ils sont citoyens à part entière. Parce que, parfois, beaucoup oublient qu'ils sont citoyens, ils ne savent d'ailleurs même pas ce qu'ils sont. Simplement qu'ils sont dans un quartier, qu'ailleurs on ne les comprend pas et qu'ils ne savent pas ce qui s'y trouve. C'est ça qui est dramatique. J'ai alors décidé d'être leur porte-parole pour faire remonter les choses aux institutions qui, elles, restent un peu éloignées de la réalité. Les décisions sont prises de très haut, à notre place, et finalement rien ne marche sur le terrain puisqu'ils ne connaissent pas le public. On parle de chiffres, de chiffres, toujours de chiffres... Mais il n'y a pas de connaissance du public et de la réalité. Cette réalité est très dure. Redonner confiance à ces jeunes est un long travail.

" On ne les juge pas. Ils me voient comme une mère, une personne qui leur veut du bien "

Nous sommes devenus la seule alternative à laquelle ces jeunes peuvent s'accrocher. Nous ne faisons pas partie des institutions, on ne le juge pas. Ils me voient comme une mère, une personne qui leur veut du bien. Je continue de me battre pour espérer arriver à la fin des injustices que je dénonce, mettre un terme aux freins entre ces jeunes et leurs droits. C'est par exemple montrer à toutes les entreprises du secteur qu'elles peuvent trouver du potentiel chez ces eux. Qu'il y a aussi des jeunes qui se battent tous les jours et qu'ils sont une majorité. Mais nous sommes confrontés à une système puissant, compliqué. On se demande si tout n'est pas fait pour les décourager. Il faut ramer, parfois on n'y arrive, pas on s'use, le jeune retombe dans la délinquance, et c'est très dur de voir ça.

" Les institutions se rendent compte qu'elles ont besoin de personnes de terrains "

L'association s'appelle Casse ta routine : ça parle dans tous les sens du terme. Aussi bien la routine de la personne qui n'aide pas les gens, que ceux qui sont dans la solitude et le désarroi. Elle est surtout un interlocuteur accessible à tous et dans l'immédiat, parce que l'écoute est importante, elle suffit parfois à rendre de l'espoir à une personne. L'association est là pour palier les difficultés mais aussi les faire remonter, en faisant bouger les mentalités au seins des institutions. Les choses sont en train d'évoluer de ce côté, les institutions se rendent compte qu'elles ont besoin de personnes de terrains comme nous pour mieux comprendre ces gens. La municipalité de Nantes nous soutient fortement, l'association est devenue un point fort dans les quartiers Nord, ce que personne ne conteste aujourd'hui. Nous avons commencé à être sous la coupe des éducateurs spécialisés qui ont accompagné la création de l'association et dont nous sommes aujourd'hui devenus des partenaires officiels. 

Au niveau de l'État c'est tout autre chose. Ils mettent des choses en place directement sans comprendre le terrain. Et ça ne marche pas. C'est de l'argent mal utilisé. Cela me révolte énormément. Lorsqu'on demande une formation pour un jeune pour qu'il s'entende dire qu'il n'y a pas d'argent, alors qu'il a tout fait pour en arriver là, que rien ne suit derrière... Pour lui, c'est un tel bouleversement qu'il ne va plus croire en la société. Ce sont des embûches, des freins.

" N'importe quel geste attentionné a une valeur inestimable pour des personnes seules "

Mais je voudrais passer un message : tout le monde est en mesure d'apporter quelque chose aux autres. N'importe quel geste attentionné peut avoir une valeur inestimable pour des personnes qui sont seules. Moi , j'ai pas forcément eu de vocations à être assistante sociale éducatrice. Je le suis devenu sans diplôme ou qualification et je travaille aujourd'hui avec des personnes diplômées et je leur apporte ce que eux ne peuvent pas voir. Quand on est déterminé et qu'on a envie d'aider l'autre il faut y aller, on peut apporter sa pierre. Pour se battre pour une société qu'on aimerait, avec des valeurs communes et pleine de solidarité."