Pour la seule année 2015, 372 suicides d'exploitants agricoles avaient été recensés 1:20
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Benjamin Peter, Jean-Gabriel Bourgeois et Viriginie Salmen, édité par Laetitia Drevet
Le député Olivier Damaisin a remis mardi au Premier ministre un rapport présentant des pistes pour mieux accompagner les agriculteurs en difficulté et tenter d'enrayer les suicides qui endeuillent régulièrement la profession. Il mise notamment sur la formation de citoyens "sentinelles" pour les orienter vers des dispositifs de soutien.

Comment mieux protéger les agriculteurs en souffrance ? Pour la seule année 2015, 372 suicides d'exploitants agricoles avaient été recensés, soit plus d'un par jour, selon les statistiques les plus récentes de la sécurité sociale agricole, la MSA. "C’est une espèce de spirale. La personne ne veut pas mourir, elle veut arrêter la souffrance psychique", explique Joëlle Dupuy, psychologue en charge de la cellule mal être de la mutuelle agricole. Des agriculteurs en détresse, elle en suit une soixantaine par an. "Une histoire de confiance", dit-elle. 

Mardi, le député LREM du Lot-et-Garonne Olivier Damaisin a remis au Premier ministre un rapport présentant des pistes pour accompagner plus précocement les agriculteurs en difficulté. Il recommande notamment de mieux coordonner localement leur accompagnement et de former davantage de citoyens "sentinelles" pour les orienter plus vite vers des dispositifs de soutien, comme ceux des MSA. "Il faut faire appel aux voisins par exemple. On se dit que moins ce sera un tabou d’aller mal, plus les autres arriveront à détecter les signes qui permettent de dire 'tiens, lui, il va mal'', explique Laurence d'Aldeguié, présidente de la MSA des Midi-Pyrénées. 

"Il faut mettre de l’humanité dans les rouages"

En ce sens, Olivier Damaisin suggère de diffuser plus largement "une information générale et non stigmatisante sur le mal-être pour qu'il ne soit pas un sujet tabou" et de mieux faire connaître les plateformes d'écoute, comme Agri'écoute, financée par la sécurité sociale agricole (MSA) et accessible 24h/24 au 09.69.39.29.19. Il plaide aussi pour une publication annuelle du taux de mortalité par suicide et d'une "analyse fine de la typologie des agriculteurs concernés et des causes". Il n'est "pas normal", dit-il, que les chiffres les plus récents sur le sujet datent de 2015. 

"C’est la première fois qu’il y a un tel audit et une telle cartographie du mal être agricole. Il y a des propositions concrètes qui ont été faites par le député", se réjouit Edouard Bergeon, réalisateur d'Au nom de la terre, film sorti en 2019 qui mettait en lumière les difficultés du monde agricole. Fils de paysan, il connait bien son sujet puisque son propre père s'est donné la mort. "Maintenant, il faut mettre de l’humanité dans les rouages. Entre les banquiers, la mutualité sociale agricole, les centres de gestion et la Safer (Société d'aménagement foncier et d'établissement rural, nldr). Aujourd’hui c’est un peu la jungle et c’est difficile de comprendre le monde agricole. Quand on est dans sa ferme, endetté, on met souvent la comptabilité de côté."

Quatre fois moins d'agriculteurs que dans les années 1980

Selon la dernière étude de l'Insee, les agriculteurs sont quatre fois moins nombreux en France que dans les années 1980. A l'époque, ils représentaient 7% des emplois du pays, contre 1,5% aujourd'hui. Ils représentent par ailleurs une population vieillissante : un agriculteur sur deux a plus de 50 ans. "La revalorisation de l'agriculture et de son rôle social sont nécessaires", relève Olivier Damaisin. Reprenant à son compte le terme d'"agribashing", popularisé par le premier syndicat de la profession FNSEA, il estime que la contestation visant les pesticides ou les systèmes d'élevage intensifs renvoie aux agriculteurs "une image dévalorisante de leur métier" qui peut se cumuler avec le reste de leurs difficultés.

Outre les problèmes financiers et la dévalorisation de leur métier, les agriculteurs souffrent aussi d'un rythme de travail beaucoup plus soutenu que le reste des Français. Ils travaillent en moyenne 55 heures par semaine, contre 37 pour les non-agriculteurs. Le député LREM plaide à ce sujet pour continuer à donner à la MSA les moyens de son "aide au répit", qui finance le remplacement jusqu'à 10 jours des adhérents en situation d'épuisement professionnel, leur permettant de se reposer.