Sexisme : face aux stéréotypes, les jouets "neutres" sont-ils efficaces ?

© ALAIN JOCARD / AFP
  • Copié
, modifié à
Aujourd’hui, la plupart des catalogues de jouets traditionnels continuent d’enfermer les filles et les garçons dans des cases.

"Le jouet représente un univers qui participe à l'éducation et au développement de l'enfant. Il est important de favoriser la construction d’une société d’égalité entre filles et garçons dès le plus jeune âge", pouvait-on lire, il y a trois ans, dans un rapport du Sénat qui appelait à "dé-genrer" les catalogues, jugés parfois trop sexistes dans leur manière de présenter les jouets. Les sénateurs souhaitaient en finir avec les clichés véhiculés par les distributeurs et les fabricants, qui dans leur communication et leurs opérations marketing incitent les garçons à se déguiser en médecin ou à jouer au soldat, et les filles à repasser et faire la cuisine. Force est de constater aujourd’hui, en cette période d’achats de Noël, que le message n’est toujours pas totalement passé.

Des catalogues encore très stéréotypés

Certes, rares sont les enseignes à catégoriser clairement les jouets qu’elles proposent en jouets "pour garçons" ou jouets "pour filles", comme cela se faisait encore massivement il y a quatre ou cinq ans. En novembre, la photo partagée sur Twitter d’un magasin Leclerc vendéen qui avait baptisé un rayon entier "jouets filles" (indiqué par un panneau rose orné de cœurs, d’une bague, d’un peigne et d’un rouge à lèvres) et un autre "jouets garçons" (garni de dessins d’une roue, d’une clef à molette, d’une toupie et d’étoiles) avait suscité un tollé général. Mais cela reste tout de même une exception, à en croire une récente enquête du magasine 60 Millions de consommateurs.

En revanche, même si les choses ne sont pas toujours aussi clairement nommées, de nombreux stéréotypes sont encore véhiculés dans les catalogues de jouets. "Dans le catalogue de la Grande Récré, par exemple, la rubrique ‘Nos moments préférés’ est découpée en deux parties, l’une intitulée ‘Les poupées et mini-mondes’ qui s’adresse clairement aux petites filles, avec une prédominance de violet et de rose, l’autre intitulée ‘les héros et véhicules’, qui cible les petits garçons avec des pages majoritairement sur fond bleu", décrit 60 Millions de consommateurs. Et d’enchaîner : "Même chose chez Carrefour, avec la rubrique ‘Les aventuriers extraordinaires’, en bleu, et ‘les copines magiques’, en rose. […] De façon quasi systématique, dans les jeux d’imitation, les filles restent cantonnées au repassage, à la cuisine, au pouponnage quand les garçons sont présentés devant un établi ou déguisés en médecin".

Les jouets "neutres" débarquent, petit à petit

Soucieux de faire changer les pratiques, certains optent pour des jouets dits "neutres", c’est-à-dire des jouets présentés comme étant susceptibles d’intéresser garçons et filles. La marque Oxybul éveil & jeux (46 points de vente en France, 6.000 références de produits) par exemple, est l’un des rares fabricants à s’adresser autant aux filles qu’aux garçons, en proposant des déguisements de médecins mixtes, des ateliers de bricolages multicolores, des vélos en bois ou des animaux à empiler. Dans leurs présentations, rien n’indique que leurs jouets sont pour fille ou pour garçon. Sans changer sa gamme de jouets, Système U, pour sa part, montre dans son catalogue (depuis 2014) des garçons jouant à la poupée ou des filles aux voitures. On peut encore citer la marque LittleBits, qui fabriquent des jouets en kits destinés à apprendre aux filles comme aux garçons comment fabriquer des petits objets connectés.

L’objectif, pour ces marques qui restent encore peu nombreuses, est d’éviter que le choix des jouets creuse les inégalités futures. "L'importance du jouet dans la formation de l'enfant se traduit par sa contribution à la construction de son identité et à ses apprentissages", concluait le rapport sénatorial cité plus haut. En clair, il s’agit d’éviter que seuls les garçons aient envie de faire médecine car ils ont eu des déguisements de médecins enfant, et que les femmes ne se cantonnent pas à un rôle de ménagère car on leur a offert un aspirateur en plastique étant petites. Avec les stéréotypes actuellement véhiculés, "s’esquisse un monde où hommes et femmes sont complémentaires dans la différence et la hiérarchie (patron et secrétaire, médecin et infirmière) et où les inégalités de sexe fortement essentialisées permettent la complétude : aux hommes la connaissance et la direction ; aux femmes le soin et l’assistance", regrette Brigitte Grésy, membre du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, citée dans le rapport du Sénat.

Une efficacité qui reste à confirmer

Mais les jouets dits neutres pourront-ils vraiment changer la donne ? Rien n’est encore sûr, car ils ont déjà existé par le passé, sans vraiment avoir d’effets. En effet, selon la sociologue Mona Zegai, les jouets "sexués" n’ont vraiment fait leur apparition que dans les années 70-80. Les marques y ont ainsi vu un moyen de vendre plus : s’il y a des jouets réservés aux filles et aux garçons, les frères et sœurs ne peuvent plus se les échanger et les parents doivent acheter deux fois plus. Avant ces années-là, aucun code couleur, aucune indication n’incitait particulièrement les enfants à se diriger vers tel ou tel jouet, à en croire le chercheur. Pourtant, les garçons ne jouaient déjà pas spécialement à la poupée.

Selon une compilation d’études effectuées par l’Université de Londres réalisée l’an dernier les enfants se tourneraient même dès le plus jeune âge (9 à 17 mois) vers certains jouets attribués à leur sexe dans l’opinion commune, peu importe l’emballage marketing. "Le ballon était en effet le jouet préféré des garçons, tandis que la marmite avait la faveur des filles", précise cette méta-analyse. Pourtant, la même étude explique que la donne est en train de changer. En effet, les "études les plus récentes" compilées par les chercheurs londoniens laissent penser que le comportement des tout-petits évolue en fonction de leur environnement social, et selon la mentalité des parents. Et les nouveaux jouets "neutres" proposés aujourd’hui ont donc potentiellement plus d’impacts que ceux d’hier, car les enfants semblent se montrer plus réceptifs qu'avant les années 70.

"Lorsque des jouets ‘neutres’ sont inclus parmi les choix possibles, les garçons jouent relativement moins avec les jouets destinés à leur sexe, et les filles jouent relativement plus avec des jouets dits ‘pour garçons’", constatent les chercheurs. Ils en appellent désormais à de nouvelles études, afin d’avoir des statistiques fiables qui conforteraient l’impact, et l’utilité des jouets neutres.