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Romain David , modifié à
Invité d'Europe 1, Bernard Rougier, spécialiste de l'islam politique, a estimé que les processus de radicalisation dans les quartiers avaient pu être favorisés par la tendance de certains élus à fermer les yeux sur des déviances communautaristes pour glaner des voix.
INTERVIEW

"La République doit tenir ses promesses." En déplacement à Mulhouse mardi après-midi, pour une visite de terrain auprès des habitants du quartier sensible de Bourtzwiller, Emmanuel Macron a annoncé une série de mesures pour lutter contre ce que l’Elysée nomme désormais "le séparatisme" religieux. "Ce terme désigne une attitude de rupture avec la société française, et assez clairement la stratégie de certains groupes visant à substituer aux lois de la République leur propre valeurs, leurs propres règles, dans une opposition quasi systématique au pacte républicain", résume au micro d’Europe 1 Bernard Rougier, le directeur du Centre des études arabes et orientales de la Sorbonne nouvelle, et auteur des Territoires conquis de l’islamisme.

"Je ne suis pas à l'aise avec le terme de communautarisme parce qu'on est dans la nation française. On peut se sentir des identités multiples, si on respecte les lois de la République et si on est tous dans la nation", a expliqué le président de la République mardi. Et d'ajouter : "Mais quand au nom d'une religion, ou de telle ou telle influence extérieure, on dit 'là, je ne respecte plus les lois de la République', alors là ça ne va plus." Pour Bernard Rougier, "l’Islam est devenu la religion la plus à même de se transformer, sous l’action de divers facteurs, en une idéologie de lutte". "Il y a un travail des différentes forces islamistes dans ce pays pour essayer de faire de chaque musulman un membre d’une communauté islamiste. Cette entreprise idéologique est très dangereuse pour la communauté nationale."

Une "politique de l’accommodement" face aux pressions d'une minorité

Bernard Rougier estime que la France ne s’est pas dotée assez tôt des outils nécessaires pour déceler les processus de radicalisation, à l’œuvre notamment dans certains quartiers. "On a laissé faire ce processus, on s’est privé des instruments d’analyse et de connaissance. Il y a eu peu d’études, les renseignements généraux ont été supprimés, il y a cette tentation chez les préfets de passer par des notables qui, eux-mêmes, ne disent pas ce qui se passe sur le terrain", énumère ce spécialiste, qui dénonce également une "politique de la complaisance", chez certains élus locaux.

"Il y avait une vielle tradition de la gauche européenne qui consistait à intégrer les étrangers. À chaque fois qu’il y a eu cet effort, il s’est fait au nom d’un idéal universaliste : le prolétariat, la classe ouvrière, l’internationale, la citoyenneté, etc. Or, une partie de la gauche démissionne aujourd'hui lorsqu’elle prend acte des différences culturelles et religieuses, cherche à les flatter pour s’attirer des voix", dénonce Bernard Rougier. "En clair, il y a eu des transactions collusives : on bénéficie des voix d’un réseau religieux et, en échange, on nomme à l’emploi ou à la jeunesse des responsables du dit réseau."

Selon lui, cette politique de l’accommodement a également miné les organisations islamiques. "Un certain nombre de notables, à la tête de mosquées ou d’associations culturelles, cèdent à la pression de la base, des plus violents, et acceptent qu’une mosquée serve de tribune à des enseignements salafistes."