Que sait-on de la "ligue du LOL", accusée de harcèlement sur les réseaux sociaux ?

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Les victimes étaient notamment prises pour cible sur Twitter (photo d'illustration). © AFP
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Un article publié par "Libération" fait resurgir des dizaines de témoignages d'utilisateurs de Twitter, affirmant avoir été cyber-harcelés par un groupe composé en grande partie de journalistes, au début des années 2010.

En l'espace de deux jours, l'expression a fait le tour des réseaux sociaux, là-même où elle est née. Et beaucoup ont ainsi découvert l'existence de la "ligue du LOL", un groupe composé notamment de journalistes et accusé d'avoir moqué et harcelé des dizaines de personnes sur les réseaux sociaux au début des années 2010. Dimanche, ses victimes ont reçu le soutien de la secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, qui a dit sur Twitter sa "solidarité" aux "blogueuses et journalistes qui ont eu à subir le harcèlement sexiste" de cette "ligue". Europe 1 fait le point sur ce que l'on sait de cette polémique.

Qu'est-ce que la "Ligue du LOL" ?

"Elle désigne le nom d'un groupe privé Facebook, créé par Vincent Glad à la fin des des années 2000", écrit Libération dans un long article de sa rubrique "Checknews", publié vendredi - Vincent Glad est un journaliste écrivant pour Libération. "Y ont figuré, et y figurent encore, une trentaine de personnes pour la plupart issues de nombreuses rédactions parisiennes, du monde de la publicité ou de la communication." L'un de ses anciens membres, Henry Michel, raconte sur sa page Facebook "un groupe privé comme il y en avait beaucoup à l'époque, dans lequel plein de twittos tenaient un véritable observatoire des trucs drôles de Twitter". "C'était privé", poursuit-il. "C'était (...) un défouloir, et en le rejoignant, j'ai eu l'impression de rejoindre une élite du lol (...)".

Au-delà de cet "observatoire", ce groupe est accusé d'être à l'origine de "raids" ciblant des utilisateurs des réseaux sociaux - ce que l'on qualifierait aujourd'hui de cyber-harcèlement - menés au début des années 2010 et visant notamment des féministes. "En 2009, Twitter n'a alors rien à voir avec le réseau social que l'on connaît aujourd'hui", retrace Libération, évoquant un petit monde au sein duquel beaucoup se connaissaient. "Progressivement, les persos (sic) visés étaient plus récurrents, plus obsessionnels, le lol disparaissait", poursuit Henry Michel dans son post publié vendredi et demandant "pardon" d'avoir "contribué à la culture de ce groupe".

Pourquoi la polémique éclate-t-elle aujourd'hui ?

L'article de Libération, mis en ligne vendredi, fait suite à la publication de plusieurs témoignages de victimes de cette "ligue" sur les réseaux sociaux, plus d'un an après l'émergence du mouvement #MeToo. Des récits de victimes présumées ont continué d'être publiés ce week-end, donnant une idée du mode opératoire du groupe. "Ca a commencé à l'époque où je faisais mes premiers pas dans la presse féminine. J'avais environ 21 ans, je n'avais pas confiance en moi", témoigne par exemple Capucine Piot sur Twitter. "La ligue du LOL m'a repérée et a commencé son travail de sape petit à petit. Montages photos/vidéos visant à se moquer de moi. Archivage des petites bêtises que j'avais pu tweeter pour me les ressortir systématiquement." "Pour moi, la ligue du LOL c'est des années de harcèlement, une usurpation d'identité, des attaques basses et gratuite", raconte une autre utilisatrice de Twitter. "Clairement, ça a défoncé ma confiance en moi et en mes capacités de journaliste."

Les témoignages émanent principalement de femmes, dont plusieurs évoquent le rapport de pouvoir qui les ont dissuadés de dénoncer ce harcèlement. "A l'époque, j'étais intermittente, je travaillais pour une émission sur France 5. Je ne savais pas si j'aurais du travail l'année suivante. Bien entendu, ma situation était précaire", écrit Florence Porcel, auteure d'un thread publié samedi. Elle y raconte un canular téléphonique, au cours duquel un journaliste s'était fait passer pour le rédacteur en chef d'une émission en lui proposant d'y travailler, avant de publier le fichier audio sur internet. Et d'ajouter que le harcèlement ne s'est, dans son cas, pas limité à la vie virtuelle, affirmant que "quatre ou cinq" membres du groupes sont venus l'"entourer physiquement' sur "(son) lieu de travail".

Mais les cibles de la "ligue du LOL" n'étaient pas uniquement des femmes. Dans un long article publié dimanche sur Medium, Benjamin LeReilly raconte avoir été harcelé à partir de mai 2011 - il était alors l'auteur d'un blog personnel - et rapporte les mêmes procédés : usurpation d'identité, insultes anonymes et photomontages. "Quelqu'un a commencé à diffuser un photomontage de moi en train de sucer un pénis (...) sur un réseau de questions anonymes (...). Le montage était envoyé en masse à des mineurs, jusqu'à 12-14 ans, avec la mention 'Salut, je suis @lereilly, j'adore sucer, ça t'intéresse ?'".

Cette "ligue" existe-t-elle toujours ?

Si la majorité des faits dénoncés ont pris fin depuis plusieurs années, le groupe Facebook rassemblant ses membres n'a pas disparu, selon Libération. "Ils se sont tous achetés une crédibilité féministe. Et comptaient sur l'amnésie collective et la trouille des victimes de pas bosser, la crainte de remettre une pièce dans la machine", estime sur Twitter la journaliste Nadia Daam, elle-même récemment victime d'une campagne de harcèlement partie des réseaux sociaux.

Durant le week-end, la vague de témoignages s'est accompagnée de plusieurs messages d'explications et d'excuses émanant de membres de la ligue du LOL. Samedi, le rédacteur en chef du site des Inrocks, David Doucet, a reconnu être l'auteur du canular qui avait visé Florence Porcel. "Je mesure aujourd'hui la dégueulasserie de ces actes et je n'ai pas d'excuses pour cela", a-t-il écrit dans un post Twitter.

"L'esprit de moquerie et de cynisme permanent du groupe a forcément influencé les actions de certains de ses membres plus borderline, notamment sous couvert d'anonymat, et qui par effet boule de neige inspiraient d'autres internautes extérieurs au groupe", estime pour sa part le journaliste de Libération Alexandre Hervaud, qui fait également partie du groupe. Plusieurs autres hommes, comme le podcasteur Sylvain Paley ou le journaliste Olivier Tesquet, ont également rédigé des messages reconnaissant leur appartenance à la "ligue", s'estimant "complice" ou "témoin passif" des faits dénoncés ces derniers jours.

Le fondateur du groupe, Vincent Glad, a lui publié deux tweets vendredi. Le premier dispose que "ce groupe existe encore mais il ne s'y passe absolument rien". Le deuxième présente des excuses à "tout ce qui ont pu se sentir harcelé" (sic). "Mais je ne peux pas assumer moi-même toutes les conneries qu'ont pu faire des gens à l'époque sur Internet", ajoute-t-il.