Procès du cardinal Barbarin : l'Église a-t-elle avancé dans la lutte contre la pédophilie ?

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Virgine Riva, avec Laure Dautriche, édité par Thibaud Le Meneec , modifié à
Le procès du cardinal Barbarin, qui s'ouvre lundi à Lyon, met en lumière la lutte contre la pédophilie au sein de l'institution catholique. Si des progrès ont été faits depuis trois ans, le chantier reste immense.
ON DÉCRYPTE

C'est un procès très attendu par les victimes de pédophilie au sein de l'Église : le cardinal Philippe Barbarin est convoqué jusqu'à mercredi devant le tribunal correctionnel de Lyon pour non-dénonciation d'agressions sexuelles sur des mineurs. On lui reproche de ne pas avoir fait part à la justice des faits de pédophilie du père Preynat, officiant dans son diocèse. Cette affaire, qui a éclaté en 2015, a-t-elle provoqué une prise de conscience de l'institution catholique ? Europe 1 a mené l'enquête. 

Procès du cardinal Barbarin : l'Église a-t-elle avancé dans la lutte contre la pédophilie ?

Une confession ne peut pas être ébruitée. Il faut d'abord comprendre que ces scandales ont tardé à éclater car le secret fait partie intégrante de la culture de l’Eglise catholique. Si vous allez vous confesser, le prêtre n'est pas tenu par un simple secret professionnel comme les autres. C’est un sacrement, qui ne peut pas être brisé du point de vue du droit canonique. 

 

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C’est ce que raconte cet ancien prêtre pédophile qui a agi dans les années 1970, aujourd'hui renvoyé de l’Eglise. À chaque fois qu’il commettait un crime, il allait se confesser. "Une fois, j'ai demandé pardon à une victime parce que mon professeur la connaissait", explique-t-il à Europe 1. À la fin de ma formation, j'ai été ordonné diacre et une maman s'est plainte d'un baiser que j'avais donné à un enfant. Elle en a parlé au curé, qui en a parlé à l'évêque, lequel m'a nommé en aumônerie de collège et de lycée. C'est absolument aberrant."

Les victimes après l'institution. Le témoignage de ce prêtre soupçonné de pédophilie nommé auprès de jeunes peut choquer. Il permet en tout cas de comprendre comment le silence est devenu un système d’auto-défense dans l’Eglise, où l'on ne pensait jamais aux victimes mais toujours à l’institution.

" Il ne fallait surtout pas de scandale à l'extérieur "

Dans l’affaire Barbarin, les agissements du père Preynat ont été signalés dès 1991 à son prédécesseur, Monseigneur Decourtray. Une femme, ancienne scout auprès du père Preynat, a été une des premières à alerter Monseigneur Barbarin en 2005. "Je lui en parle et là, le cardinal Barbarin dit que le nom de Preynat est connu en dehors du diocèse", raconte Isabelle de Gaulmyn, rédactrice en chef au journal La Croix, auteure d’Histoire d’un silence aux éditions du Seuil. "'Aïe, il faut faire attention, ça va sortir'. Il ne fallait surtout pas de scandale à l'extérieur. Une vieille réglementation romaine disait qu'on excommuniait automatiquement toute personne qui dénonçait à l'extérieur les mauvais agissements d'un prêtre. Elle est restée en vigueur jusqu'en 2002."

Près de 50 prêtres suspendus. Aujourd'hui, l'Église a en partie évolué. Mais il a quand même fallu attendre 2015 et l'affaire Barbarin pour que le travail soit fait sérieusement. Des cellules d’écoute ont été mises en place, 211 victimes ont pu parler, les évêques apprennent à signaler les cas suspects, ils ont fait remonter 75 cas au procureur et 49 prêtres ont été suspendus.

Mais le chantier est encore immense, comme le reconnaît la Conférence des évêques de France. S’il y a bien dans les séminaires une sensibilisation systématique à la pédophilie - demande expresse de Rome -, on n’y parle toujours pas de sexualité ou de vie affective. Or c’est toute la question : est ce qu’on arrive au séminaire avec des pulsions pédophiles ? Ou est-ce la misère sexuelle, le célibat qui provoque ces pulsions ? Pour l’Église, aujourd'hui, il s’agit avant tout de fragilités humaines et pas d’une faute de l’institution.

Le discours ambigu du pape François. Pourtant, le pape François ne cesse d’avoir des mots très durs contre les prêtres pédophiles. Mais il y a les mots d’un côté et les faits de l’autre. En 2016, le souverain pontife proposait un texte de loi révolutionnaire qui rendait pour la première fois les évêques responsables d’un délit de négligence s’ils restaient silencieux. À ce jour, aucun responsable n’a été poursuivi par le Vatican.

François avait pourtant crée beaucoup d’attentes car, dès le début de son pontificat, il avait formé une commission spéciale pédophilie. Depuis beaucoup ont démissionné, comme Catherine Bonnet, qui était la seule Française à en faire partie. Elle demandait justement que les évêques puissent être jugés au Vatican par un tribunal spécial. Elle s’exprime rarement, mais elle a confié ce week-end à Europe 1 que, pour elle, s’il n’y a pas de changements drastiques, le Pape François ne réglera jamais le problème.

De vraies avancées dans la justice française. Catherine Bonnet attend des mesures fortes notamment du sommet mondial que le pape François convoque à Rome sur le sujet, le mois prochain. D'autant qu'il s’est, l’an dernier, discrédité au Chili en accusant les victimes de pédophilie de mensonges. Depuis, il a demandé pardon et a encore appelé à la tolérance zéro, le 31 décembre, devant sa curie. Il faut donc voir si sa ligne est désormais claire.

Finalement, les vraies avancées se sont faites du côté de la justice civile en France, plus sévère. En novembre dernier, un prêtre d'Orléans a été condamné à trois ans de prison ferme et l’ancien évêque à huit mois avec sursis pour ne rien avoir dénoncé. C’est la deuxième fois seulement qu’un évêque est condamné en France. Et puis de nombreux prêtres sont aujourd'hui en détention provisoire, en attente de leur procès.