Péages urbains : outil efficace ou "solution de facilité" ?

Image d'illustration. Le projet de loi d'orientation des mobilités doit être voté d'ici la fin de l'année.
Image d'illustration. Le projet de loi d'orientation des mobilités doit être voté d'ici la fin de l'année. © MATTHIEU ALEXANDRE / AFP
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Ugo Pascolo
Laurent Hecquet, directeur général de l'Observatoire des experts de la mobilité, et Yves Carra, porte-parole de l’Automobile club débattent au micro de Wendy Bouchard de l'intérêt d'autoriser les péages à l'entrée des communes de plus de 100.000 habitants, mesure qui figure dans le projet de loi d'orientation des mobilités.
LE TOUR DE LA QUESTION

Payer pour accéder au centre-ville ? Cela devrait bientôt devenir une réalité dans certaines communes. Le projet de loi d’orientation sur les mobilités, qui doit être présenté en Conseil des ministres en novembre, prévoit en tout cas de donner la possibilité aux collectivités d’instaurer un péage urbain à l’entrée des agglomérations de plus de 100.000 habitants. Selon le texte, dévoilé mercredi par le site Contexte, le montant de ce "tarif de congestion" pourra s’élever à 2,50 euros pour les véhicules légers, et 10 euros pour les véhicules les plus lourds. Ces montants pourront même être doublés pour les villes de plus de 500.000 habitants (actuellement Paris, Marseille et Lyon en l’occurrence), soit un maximum de 5 euros par passage pour une voiture et 20 euros pour un camion.

Invités de Wendy Bouchard mardi, Laurent Hecquet, directeur général du MAP, l'Observatoire des experts de la mobilité, et Yves Carra, porte-parole de l’Automobile club, une association d'automobilistes, débattent de cette mesure qui doit être votée d'ici la fin de l'année. Si les deux experts prônent la mise en place d'un nouveau système pour les péages autoroutiers sans avoir à ralentir, ils s'opposent radicalement sur la mise en place des barrières payantes à l'entrée des agglomérations.

Oui, mais cet argent doit être utilisé pour améliorer les choses

"Le péage urbain ne doit pas être un outil pour lutter contre l'automobile, qui reste aujourd'hui le seul moyen de déplacement individuel de la population", analyse Laurent Hecquet. "Pour autant, la voiture représente 32 milliards de recettes fiscales par an pour l'Etat. [...] La clé va être l'acceptabilité sociale. [...] Pour ce faire, les gens doivent savoir à quoi va servir l'argent des péages. Et s'il n'est pas employé pour améliorer les choses en matière de circulation, ce serait une catastrophe", avance le fondateur du think tank Automobilité & Avenir. "Par exemple, cela pourrait financer des parkings gratuits", propose-t-il.  

Oui, avec des alternatives crédibles 

Si les péages urbains sont mis en place, il y a fort à parier que les gens se rabattent sur les transports en commun. Et c'est là un autre point de difficulté de la mise en place de cette mesure : avoir des transports en commun qui répondraient aux attentes. "S'ils ne répondent pas aux besoins de fluidité, d'horaires, de sécurité ou encore d'accessibilité, les gens prendront naturellement leur automobile", explique Laurent Hecquet, en rappelant l'exemple Londonien où "l'effet sur le trafic est presque nul".

Un sentiment que partage Thomas sur la page Facebook d'Europe 1. Il a répondu au sondage sur la mise en place des péages urbains. Le jeune homme, qui se dit motard, fait partie des 17% de personnes à se prononcer en faveur de la mesure, sur un total de 3.700 votant, mardi à 8h. "Il faut plus d'infrastructures pour les transports en communs, plus de fiabilité des réseaux", écrit-il. "J'économise plus d'une heure de temps en moto qu'en transport. Mais je préférerais pouvoir prendre les transports".

Cela ne doit pas enclaver les centres-villes

L'autre risque potentiel de la mise en place des péages urbains est l'enclavement des centres-villes concernés par la mesure. C'est d'ailleurs l'un des arguments brandit par Alain Juppé, maire de Bordeaux, qui est contre : "Si l'on met cela en place, tous ceux qui sont à l'extérieur de la métropole vont nous dire : 'La métropole se barricade et on ne peut plus y venir'". "Il y a effectivement un risque de voir l'économie se déporter à l'extérieur des centres-villes", reconnait de son côté Laurent Hecquet.

"On offre des millions d’emplois a des personnes que l'on n'a pas les moyens de loger, donc ils sont obligés de venir travailler en voiture", admet le directeur général du MAP, avant de poursuivre : "Le péage urbain implique une remise en cause de tous ces principes. Et l'accompagnement des politiques sur ces sujets, ce n'est pas simplement taxer, ou mettre une barrière, c'est de réfléchir au positif et d'accompagner les citoyens dans leur vie quotidienne", conclut-il.

>> De 9h à 11h, c’est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l’émission ici

 

Non, cela n'a pas d'impact sur la qualité de l'air

Yves Carra, pour sa part, est opposé aux péages urbains. Il n'est d'ailleurs pas surpris du résultat du sondage Europe 1 sur Facebook, où 82% des 3.700 votants se sont prononcés contre, mardi à 8h : "On ne peut être que contre", tranche-t-il.

Selon le porte-parole de l’Automobile club, les expériences similaires dans d'autres pays ne sont pas du tout concluantes : "Les péages urbains ont été mis en place dans les années 1980 à Téhéran ou encore à Singapour pour décongestionner", rappelle-t-il. "Quand on fait payer l'accès à une zone, il y a forcément moins de voitures, mais l'impact écologique de la mesure, notamment sur la qualité de l'air n'est pas prouvé", révèle le porte-parole de l’Automobile club. "Il n'y a pas vraiment d'études sur ça. [...] En revanche, pour vider les centres-villes, ce serait une bonne solution", raille-t-il. Un avis que partage Mary, contre la mise en place des péages, qui écrit sur la page Facebook d'Europe 1 qu'"à moins de vouloir tuer les centres-villes et les petits commerces au profit des grandes surfaces et zones commerciales, NON !". 

 

Non, la mesure va pénaliser les gens qui sont déjà en difficulté

Pour étayer son propos, Yves Carra se lance sur le terrain économique et rappelle les nombreuses taxes auxquelles sont déjà soumis les automobilistes : "le stationnement, le contrôle technique, le bonus-malus, et ne parlons même pas du prix du carburant ! Ces dernières années, l'automobiliste subit une attaque sans précédent", explique l'expert. "Mais dans la grande majorité des cas, les gens n'ont pas le choix : beaucoup de personnes font 40 kilomètres par jour pour aller travailler. Et je vous laisse imaginer le poids des taxes, notamment sur le carburant, pour une personne au Smic qui doit prendre sa voiture pour se rendre au travail".

Yves Carra regrette que d'autres solutions n'aient pas été mis en avant. "Il y a énormément de villes en France où cela ne se justifie pas, comme Dijon par exemple", avance l'expert. "Et puis d'autres solutions existent : à Florence, le centre historique est interdit à la circulation, pourquoi ne pas faire de même à Lyon ?", s'interroge-t-il alors que Gérard Collomb, qui doit remettre prochainement la main sur son siège de maire de la Ville lumière, s'est prononcé en faveur de la mesure.

"D'ailleurs, c'est presque déjà le cas. Plutôt que de faire payer, interdisons le déplacement à l'intérieur d'une zone très limitée. On peut aussi faire comme à Strasbourg : la ville est entourée de parkings et tous les passagers d'un véhicule ont des tarifs avantageux pour prendre les transports en commun afin de rallier le centre-ville. Et ça marche très bien", propose-t-il, avant de conclure : "Le péage urbain est une solution de facilité".