"Jamais il n’a été prévu de faire quoi que ce soit" contre Emmanuel Macron, assurent aujourd'hui les mis en cause (photo d'illustration). 1:24
  • Copié
Salomé Legrand, édité par Margaux Lannuzel , modifié à
Un an après le coup de filet antiterroriste visant les suspects d’un projet d’attaque contre le chef de l’État, les éléments d’enquête consultés par Europe 1 révèlent pour l’instant un projet théorique et flou.
EXCLUSIF

"Tout le monde en a parlé mais jamais il n’a été prévu de faire quoique ce soit... Dans les groupes en ligne, ça parle, mais ce n’est pas pour ça que ça agit". Ces deux phrases, prononcées en mai dernier par Jean-Pierre B. durant son deuxième interrogatoire devant le juge, résument l’essentiel du dossier. En creux de ses réponses apparaît sa dérive et celle de ses trois co-mis en cause, illustration de l’émulation malsaine des groupuscules d’ultra-droite hyper actifs sur les réseaux sociaux. Tous quatre sont mis en examen pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, un an après le coup de filet visant les suspects d’un projet d’attaque contre Emmanuel Macron, début novembre 2018. Mais les éléments de l’enquête consultés par Europe 1 et Le Républicain Lorrain dessinent pour l’instant un projet peu concret, sur fond de vive contestation politique.

Un groupe surnommé les "Barjols"

Dans cette affaire, les quatre mis en examen ont tous fait partie plus ou moins longtemps d'un groupe dit des "Barjols", qu’aucun n’arrive précisément à définir. Jean-Pierre B. s’y intéresse dans les six mois qui suivent une opération contre un cancer, qui ne lui laisse que 30 cm d’intestins. Alors âgé de 62 ans, garagiste retraité près de Grenoble, il souhaite "se rapprocher des gens qui veulent faire bouger les choses". Mickael I. intérimaire sans emploi depuis six mois et son dernier poste de poissonnier au supermarché Match de Bouzonville, y entre lui “via Facebook : ‘tout le monde parlait de ce qui se passait, la crise et tout ça’ ”. Ce Mosellan de 40 ans se dit "ni à droite, ni à gauche mais pour le peuple".

" Je ne connaissais personne, j'étais mal dans ma vie. Écrire des choses comme ça, ça me calmait.  "

Du côté de l’Isère, Antoine D., 23 ans, atteint du syndrome de Di Georges (une dysmorphie faciale, qu’il appelle lui-même "Guy Georges"), passe ses journées dans le noir à jouer aux jeux vidéos en attente d’une allocation adulte handicapé et tombe sur le groupe en cherchant un cours de self défense pour se protéger d’un racket qu’il aurait subi. Un jour il écrit : "p***** de politique de merde, ils vont voir un jour sa va changer"(sic). Dans le cabinet du juge, il se met à pleurer à l’évocation de ce message. "Je ne connaissais personne, j’étais mal dans ma vie. Écrire des choses comme ça, ça me calmait". Quant à David G., 50 ans, ouvrier chez Renault en arrêt de travail depuis 2014 après un accident, il s’occupe de sa fille chez lui. "Catholique et chiraquien", il est séduit par l’anti-macronisme des "Barjols" et en devient rapidement le responsable départemental pour la Moselle, se présentant pour la première fois au groupe lors d’une réunion au Mc Donald’s de la zone industrielle de Thionville.

À l’exception du "petit", Antoine D., qui n’a rencontré personne avant les faits, tous se croisent au gré des week-ends organisés par les "Barjols", tantôt dans une vieille usine près de Nice, aménagée comme un appartement pour apprendre à se protéger chez soi, tantôt lors de séances de tirs où ils parlent de "taper des migrants et brûler des mosquées". De temps à autre, lors de stages de survie qui tournent régulièrement au barbecue arrosé. Chaque fois, en boucle, il est question du "système" qu’ils exècrent, de l’immigration, et de l’obsession de "reprendre le pays" . Omniprésente : la haine de ce président qui les prend "pour des moins que rien" et qui les ulcère "vu tout ce qu’il laisse entrer comme merde" (en France, ndlr).

 "On les tuera comme bobby and clyde"

Dans les mois qui précèdent l’arrestation des quatre hommes, Jean-Pierre B. également co-animateur avec un déçu du FN de la page Facebook "populiste et fiers de l’être", cherche "un moyen d’unité pour faire sortir les gens dans la rue et obtenir un meilleur smic, un meilleur machin et un meilleur statut social". Décrit comme impulsif, il songe à couper les câbles alimentant les antennes relais des télévisions dans la nuit du 13 juillet pour la finale de la Coupe du Monde, afin de créer "une colère" qui constituerait un "bon départ". Puis tente d’organiser des rassemblements devant les mairies le 3 octobre. L’opération fait pschitt.

À 600 km plus au nord, Mickael I. lui, "déteste les riches, les avocats, les francs-maçons" d’après son ex-compagne, rencontrée en dansant le hip-hop. Et en a après les migrants, qu’il n’a jamais croisés mais "qui ont des portables alors que les Français n’ont rien du tout, il suffit de regarder BFM ou LCI". Fasciné par les "Anonymous", qui empruntent leur masque à Guy Fawkes, auteur d’une attaque contre le Roi d’Angleterre en 1605, il s’intéresse aussi aux blacks blocks car "eux au moins ça bouge vraiment". En mai 2018, il écrit au sujet des "Barjols" : "je vais monter mon propre groupe car piknique et leur connerie de pistolet à billes c pas pour moi, (…) c’est pas comme ça qu’on va baiser le gouvernement". Parmi ses contacts téléphoniques les plus fréquents, des femmes qu’il n’a jamais vues, rencontrées sur ces groupes en lignes ou sur les forums du jeu Second Life, adeptes convaincues du Grand remplacement. Quand l’une s’emporte contre les "traîtres et les salopards", il répond : "on les tuera comme bobby and clyde (sic)".

Quelque chose de "sérieux", "loin des paroles en l’air"

Sur sa chaîne Telegram "citoyens en colère", Mickael I. envisage, en vrac,  des actions de kidnapping, et évoque la présence de Macron à Morhange le 5 novembre en ces termes : "t’es chaud le 5 pour choper la pute il vient à Morange, là je bout". "Une fois les actions lancées, nous passerons pour terroristes ennemis de la Nation", s’enthousiasme le quadragénaire, dont la compagne confiera ultérieurement à la DGSI qu’elle sentait quelque chose de "sérieux", "loin des paroles en l’air" monter en lui depuis quelques semaines.

Ensemble, ils cherchent à récupérer une caisse d’armes de la Seconde Guerre mondiale, imaginent kidnapper des "riches" ou braquer un centre des impôts ou une agence de société d’assurance. Ils envisagent de se replier dans un bunker de ligne Maginot, où ils auraient stocké des vivres. Après 10 heures de route, le retraité et le plus jeune rejoignent les mosellans peu avant 20 heures, le 5 novembre. Dans les heures qui précèdent, Jean-Pierre B., placé sur écoute, martèle qu’il ne "vient pas pour rien", glisse qu’après il sera "introuvable", voire que si ça tourne mal, il se garde "la dernière (balle)" pour lui. Il laisse à sa femme des coordonnées "au cas où" pour se mettre en sécurité avec leur fille. Les quatre hommes seront interpellés, ainsi que deux femmes avec lesquelles ils échangeaient, le lendemain matin, sans arme à feu - même si plusieurs fusils seront retrouvés notamment au domicile de Jean Pierre B. Dans la voiture de ce survivaliste assumé : un couteau poignard commando avec une lame 15 cm, des jumelles, une paire de talkie-walkies, un sac de couchage, un tapis de sol, une tente et un chargeur solaire.

"Je pouvais avoir des colères, 5 minutes et puis c’est fini"

Quid des "aveux" recueillis par les policiers lors de la garde à vue des intéressés ? Il s’agit en fait de ceux du plus fragile, Antoine D., qui a reconnu que le fait de s’en prendre au président de la République avait été évoqué, ce 5 novembre au soir. Devant le magistrat instructeur, Jean-Pierre B. explique lui que toutes ces tirades "c’était pour faire le cador". Notamment cette fois où on l’entend dire à l’une des interpellées : "Tu les (personnes indéterminées) prends, tu les mets dans un trou, boum ! boum ! fini pas de corps, pas de meurtre". "C’est vrai je pouvais avoir des colères, 5 minutes et puis c’est fini", explique le sexagénaire au juge, évoquant notamment sa révolte face à la situation de "deux vieillards qu’on avait mis deux ans à reloger". Et sur le projet précis d’attaquer le président lors d’un bain de foule, à l’aide d’un couteau en céramique indétectable au portique, il lâche ces deux phrases : "Tout le monde en a parlé mais jamais il n’a été prévu de faire quoi que ce soit... Dans les groupes en ligne ça parle, mais c’est pas pour ça que ça agit." 

" Je voulais vraiment qu'on bloque le pays, j'ai jamais voulu tuer qui que ce soit. Je paie les conneries que j'ai dites "

Ce fameux soir, "jamais B. (Jean-Pierre) n’a expliqué comment il ferait concrètement pour s’en prendre à Macron", abonde Mickael I. qui répète : "je voulais vraiment qu’on bloque le pays, j’ai jamais voulu tuer qui que ce soit, je paie les conneries que j’ai dites". Pour David G. aussi, il n’était question que de blocages et d’actions "coup de point (sic)".

En exploitant les ordinateurs et téléphones saisis chez eux, lors des perquisitions, les enquêteurs ont mis à jour d’interminables conversations sur le même ton, mélange de haine sans fard et de bouillonnement face à l’inertie d’une société "de lâches". Ils sont également tombés sur une "Constitution provisoire suspensive" datée du 12 février 2018 et rédigée par un groupe "Phoenix", des cartes avec des points stratégiques codés par couleurs, en bleu les hypermarchés, les Ephad et les cliniques, en vert les gendarmeries, pompiers ou casernes, en kaki, les autoroutes, ports ou aéroports. Et enfin, un genre de répertoire territorial des "Barjols". Après un an de détention provisoire, Jean-Pierre B. demande jeudi sa remise en liberté.