Mantes-La-Jolie : ce que l’on sait de la vidéo choc des lycéens interpellés

151 jeunes ont été interpellés jeudi, à Mantes-La-Jolie.
151 jeunes ont été interpellés jeudi, à Mantes-La-Jolie. © Capture d'écran Twitter @Obs_Violences
  • Copié
, modifié à
Les images de l'interpellation musclée, jeudi, de plus de 150 lycéens à Mantes-la-Jolie ont suscité une vive indignation. À raison ?

Des membres de l’opposition au ministre de l’Education nationale, en passant par les syndicats d’enseignants et de parents d’élèves : les images de l'interpellation musclée, jeudi, de plus de 150 lycéens à Mante-la-Jolie ont choqué. À tel point que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, s’est engagé vendredi à "rendre publiques les conclusions des enquêtes" qui seront menées par l’IGPN, la police des polices. Le ministre a également appelé à "replacer [ces images] dans un contexte", pour ne pas tirer de conclusions hâtives. Mais quel est ce contexte, justement ? 

Que s’est-il passé jeudi à Mantes-La-Jolie ?

Depuis plusieurs jours, en marge du mouvement des lycéens qui touche toute la France, de violents affrontements ont lieu entre des jeunes et des forces de l’ordre à Mantes-La-Jolie, dans les Yvelines. Jeudi, de violentes échauffourées ont opposé les forces de l’ordre à des individus dans le quartier de Val-Fourré, près du lycée Jules-Saint-Exupéry. Selon des témoins cités par plusieurs médias, les forces de l’ordre ont notamment été victimes de jets de cailloux, certains évoquant même des cocktails Molotov. Selon le ministère de l'Intérieur, 37 "manifestants", la plupart encagoulés, étaient également munis de bâtons, de battes de base-ball et de conteneurs de gaz lacrymogène. Après d'intenses affrontements, vers midi, les policiers ont procédé à 151 interpellations.

Que sait-on de la vidéo polémique ?

Jeudi vers 21h, le compte Twitter de l’Observatoire des violences policières, une association qui entend surveiller de près les bavures des forces de l’ordre, publie une vidéo de ces interpellations. On y voit plus d’une centaine d’adolescents, les mains entravées ou sur la tête, à genoux ou assis au sol, rassemblés dans le jardin d'un pavillon et dans une maison associative par quelque 70 policiers. "Voilà une classe qui se tient sage", prononce une voix off, anonyme. "Ils n’ont jamais vu ça", commente une autre.

Contacté par Libération, le propriétaire du compte Twitter de l’Observatoire assure avoir récupéré cette vidéo, qui aurait depuis été supprimée, sur le compte Twitter d’un policier. Plusieurs autres vidéos ont depuis été relayées sur les réseaux sociaux, montrant la même scène sous un autre angle (mais sans la voix off). L'AFP dispose d’ailleurs d'images similaires (à partir de 0'20" dans le tweet @afpfr ci-dessous) tournées un peu plus loin de la scène.

Pourquoi cette vidéo indigne-t-elle ?

Cette vidéo a suscité une vague d’indignation, notamment à gauche. "Il faut dire les choses posément mais fermement : ce qui s’est passé avec les lycéens de Mantes-la-Jolie est simplement intolérable", a fustigé l'ancienne ministre écologiste Cécile Duflot sur Twitter. "La France, pays des droits de l’homme. Comment certains policiers y traitent les mineurs. Où vivons-nous donc ? Sous quel régime ?" s'est indignée la sénatrice écologiste Esther Benbassa. "Glaçant, inadmissible. Cela n’est pas la République. La jeunesse française humiliée. Mais que cherche le pouvoir sinon la colère en retour ?" a réagi, de son côté, Benoît Hamon, leader de Generation.s. "Violence inacceptable et humiliante", a enfin lancé Eric Coquerel, député France insoumise de Seine-Saint-Denis.

"On est extrêmement choqués par ces images indignes de notre démocratie", a également commenté le SNES-FSU, syndicat des enseignants de second degré. Les associations de parents d'élèves FCPE et PEEP ont même demandé à être reçues par le ministre de l'Education nationale, pour évoquer cette vidéo "humiliante". Jean-Michel Blanquer, lui-même, a reconnu : "L'image est forcément choquante". "Il faut faire très attention aux images découpées, il faut savoir ce qu'il s'est passé. Mon premier devoir c'est la protection des lycéens. […] Bien sûr que je dis à Christophe Castaner qu'il faut que l'usage de la force soit proportionné mais c'est déjà un miracle qu'il n'y ait pas de mort", a-t-il ensuite nuancé.

Comme en témoignent ces réactions, les raisons pour lesquelles cette vidéo suscite cette émotion sont multiples. Le fait même que la scène soit filmée (avec commentaire d’une voix off), d’une part, est jugé dégradant. L’interpellation elle-même, ensuite, jugée trop musclée pour des jeunes de cet âge-là.

L’interpellation aurait-elle pu se passer différemment ?

"L’interpellation d’un nombre aussi important d’individus a nécessité de prendre des mesures de sécurité complémentaires", a pour sa part justifié le ministère de l’Intérieur. "Ces images sont indubitablement dures et inhabituelles", a reconnu de son côté Thierry Laurent, directeur de cabinet du préfet des Yvelines. "Il faut pour autant les mettre en rapport avec les violences qui ont été commises à Mantes-la-Jolie par ces individus depuis trois jours. Il n'y a pas eu de volonté d'humiliation", renchérit-il toutefois, soulignant qu’il n’y a pas eu de blessés. "Il fallait mettre fin à ces violences" explique encore la Préfecture des Yvelines. Un peu plus tôt, le commissaire de Mantes-la-Jolie avait assuré à l'AFP vouloir "interrompre un processus incontrôlé". "Les policiers ont été pris à partie dans un guet-apens", a également assuré Pascal André du syndicat SGP-Police, au micro de BFMTV, évoquant des "jets de pierre, de caillassage et de cocktails Molotov".

Plusieurs éléments n’en restent pas moins troublants. "Souvent, lors de contrôles, les individus sont placés contre un mur, les mains derrière le dos.  Là, ils sont au milieu de rien, on dirait un peu des prisonniers de guerre", décrypte Alain Acco, spécialiste Police-justice d’Europe 1. Selon plusieurs sources, si les lycéens avaient les mains sur la tête, c'est en raison du fait que les CRS n'avaient pas assez de menottes. Mais "cela aurait pu se passer différemment. Ils auraient pu, par exemple, être assis en tailleur", renchérit un commissaire de sécurité publique, connaisseur de ce genre d’opération, interrogé par Europe 1. Avant de préciser : "Cela renvoie une image catastrophique. Mais dans ces moments, on ne pense pas à l’image". 

En plus de l'enquête de police, le Défenseur des droits a lui aussi annoncé vendredi ouvrir une enquête. Cette enquête portera "sur les conditions dans lesquelles se sont déroulées des interpellations de lycéens à Mantes-la-Jolie", indique dans un communiqué cette autorité indépendante qui rappelle être chargée de "veiller au respect de la déontologie" des forces de l'ordre et de défendre "l'intérêt supérieur de l'enfant".