Liabeuf, l’ouvrier devenu symbole du petit peuple opprimé

Le cordonnier Jean-Jacques Liabeuf.
Le cordonnier Jean-Jacques Liabeuf. © Domaine Public / Service Régional d'Identité Judiciaire de Paris
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Guillaume Perrodeau , modifié à
Christophe Hondelatte raconte mercredi l'affaire Liabeuf, qui date de 1910, lorsqu'un cordonnier s'est vengé de la police après une condamnation qu'il estimait injuste.

Jean-Jacques Liabeuf est devenu un symbole du petit peuple opprimé du début du 20ème siècle. En janvier 1910, ce cordonnier tue un policier et en blesse un autre grièvement, par vengeance. Une affaire que Christophe Hondelatte raconte mardi.

 

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Une vengeance bien organisée. Le 8 janvier 1910, dans le quartier des Halles à Paris, Jean-Jacques Liabeuf entame une tournée des bars. Mais il a un but bien précis : ameuter des policiers pour mieux les agresser. Il a bien préparé son coup. Autour des poignets, il enfile des bracelets cloutés et dans ses poches, il garde bien au chaud un revolver et un couteau. À la sortie d'un troquet, il est appréhendé par un groupe de policiers, exactement ce qu'il recherchait. S'en suit un affrontement au cours duquel un policier est gravement blessé à la gorge, tandis qu'un autre trouve la mort.

Arrêté et interrogé, Jean-Jacques Liabeuf justifie son geste : une vengeance, car un an avant, il a été emprisonné et a écopé d'une interdiction de séjour pour proxénétisme. "Une erreur judiciaire", crie-t-il, qu'il a voulu faire payer à la corporation.

Une condamnation qui ne passe pas. Pour comprendre le geste de Jean-Jacques Liabeuf, il faut remonter à l'année 1909. Une amie lui présente un jour une tapineuse, "Didine", dont il s'amourache. Problème, "Didine" a déjà un Jules, Gaston, un souteneur. Lorsque les deux se rencontrent, ils décident de s'expliquer au couteau. Séparés par des policiers, ils expliquent tous les deux leur histoire. La justice en conclura que Liabeuf est un souteneur, lui aussi, et le condamne à trois mois de prison et cinq ans d'interdiction de séjour à Paris. En prison, le cordonnier fulmine et sa colère ne s’estompe pas avec les semaines qui passent. Lorsqu'il sort après plusieurs semaines de détention, il se sent humilié, rabaissé et n'a qu'une idée en tête : se venger. Chose à laquelle il parvient donc, le 8 janvier 1910.

Liabeuf devient un symbole. Pour la justice, la tête de Jean-Jacques Liabeuf va bien rouler dans la sciure, cela ne fait pas de doute. Mais plusieurs journaux communistes et anarchistes commencent à prendre fait et cause pour ce cordonnier, "victime de la justice bourgeoise". Lorsque la condamnation à mort est effectivement prononcée, le journaliste Gustave Hervé prend sa défense dans le journal La guerre sociale. Et bientôt, la liste des soutiens à Liabeuf s'allonge et s'étend jusqu'aux socialistes, aux radicaux, aux académiciens et autres scientifiques. Le député Jean Jaurès prend même la parole pour demander la grâce au président Armand Fallières, réputé abolitionniste. Mais devant la pression du préfet de Paris, le président de République décide de maintenir la peine : Jean-Jacques Liabeuf sera bel et bien exécuté.

Le 2 juillet 1910, à côté de la prison de la Santé, on dresse l’échafaud pour le cordonnier Liabeuf, qui réclame toujours qu'on annule sa condamnation pour proxénétisme. Sur place, une foule est venu saluer une dernière fois l'homme et apporter son soutien. On retrouve parmi eux Picasso, Jean Jaurès, Blaise Cendrars ou encore Lénine (en exil à cet époque). Le couperet tombe, la tête glisse, Jean-Jacques Liabeuf est exécuté. Son histoire restera comme "l'affaire Dreyfus des ouvriers".