Urgences Orléans 1:38
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Marion Gauthier , modifié à
Près de 90 % des infirmiers et aides-soignants des urgences d’Orléans sont en arrêt maladie depuis trois semaines, pour épuisement. Les médecins ont soutenu cette vague inédite en se déclarant en grève. Une contestation sans précédent dans un département, le Loiret, qui est l’un des plus grands déserts médicaux de France.

"Des mois qu’on alerte", se désole le docteur Matthieu Lacroix, médecin aux urgences du centre hospitalier régional d’Orléans. Depuis trois semaines, près de 90% des infirmiers et aides-soignants de son service sont en arrêt. "Le mouvement massif de nos soignants nous a fait réaliser que ce qu’on accepte au quotidien n’est pas acceptable", explique-t-il.

Le trentenaire lance un regard impuissant aux box vides, au matériel "quasi neuf" à l’arrêt. "Du gâchis", lâche-t-il, avant de montrer encore une salle déserte : "Depuis une semaine, on ne peut même plus accueillir les urgences vitales ici, au sein même des urgences, parce qu’on n’a plus les infirmières formées qui travaillent !"

Les infirmières doivent gérer plus de 20 patients à la fois

"La règle voudrait qu’il y ait 8 à 10 patients par infirmière des urgences, mais l’activité n’a cessé d’augmenter, jusqu’à 20 à 25 patients à la fois par infirmière", explique le praticien. Le Loiret est l’un des "plus graves" déserts médicaux de France : les urgences sont un recours habituel pour des patients, souvent sans médecin traitant, alors que le personnel manque.

"Le problème est en aval des urgences", pour le Docteur Lacroix. Plusieurs services de l’hôpital sont à la peine, 150 lits ont fermé récemment dans les étages, par manque de personnel, ce qui allonge le délai d’attente aux urgences. "Il n’y a pas si longtemps, quand quelqu’un passait plus de 24h aux urgences, tout le monde s’en émouvait, mais ces derniers mois, les gens passent trois, voire quatre jours sur des brancards, c’est vraiment fou !" s’indigne le médecin, montrant le fin matelas bleu marine devant lui.

"Les plateaux-repas, c’est quand les infirmières peuvent"

"Vous ne pouvez pas dormir ! On vous fait la toilette devant le voisin, vous ne pouvez pas vraiment manger parce que les aides-soignantes sont tellement débordées que les plateaux-repas, c’est quand elles peuvent", détaille-t-il. "Quand vous appelez l’infirmière, elle ne peut pas non plus venir tout de suite, donc si vous avez besoin d’uriner, on ne sait pas trop comment faire", ajoute-t-il. Matthieu Lacroix désigne un box sans fenêtres : "Si vous avez quelqu’un d’âgé, qui est déjà un peu perdu, vous le laissez là trois jours, il ne sait plus où il est !"

Des conditions d’accueil indignes qui augmentent les risques pour les patients et la culpabilité des soignants. "Annoncer un cancer à quelqu’un au milieu d’un couloir", souffle Julie*, une infirmière fraîchement diplômée. "Je n’avais même pas trois minutes pour discuter. Je n’aurais jamais pu imaginer que je vivrais ce genre de choses."

Elle revient tout juste de trois semaines d’arrêt maladie. L’impression d’avoir déserté, mais la certitude de l’avoir fait pour les bonnes raisons. "Ce n’était plus possible", répète la jeune femme. "Je n’étais plus dans le soin, mais dans la technique. Je faisais une perfusion, une prise de sang, et je recommençais, je recommençais."

"Même les animaux sont mieux traités"

La "goutte de trop" ? Une patiente retrouvée morte dans les couloirs bondés des urgences. Un décès "attendu", explique Julie, "mais on n’a pas envie de laisser les gens finir leur vie comme ça", ajoute-t-elle. "Ça faisait des semaines qu’à tour de rôle on se mettait à pleurer", poursuit-elle. "Nos médecins arrivaient, voyaient la tonne de patients, sortaient pleurer. Un jour, j’étais là, avec le patient, trois collègues et toutes les quatre on pleurait."

"Les patients, ce sont des humains, ce ne sont pas des animaux. Même les animaux sont mieux traités", embraye Élodie*, une collègue, les yeux éteints. "Ça m’a dégoutée du métier d’infirmière". Une aide-soignante encore en formation avoue s’être aussi posée la question : "Est-ce que tu es sûre de vouloir rester là ?"

Difficile d’imaginer une suite à l’enfer de ces couloirs qu’elles connaissent par cœur, de renoncer à un métier qu’elles assurent aimer encore "mais est-ce que les choses vont vraiment changer ?", s’interroge Élodie, sans conviction.

De meilleures conditions de travail réclamées

Les soignants assurent ne pas demander d’augmentation de salaire, mais des lits, à tous les étages de l’hôpital, pour mieux répartir les patients. "Et du personnel !", ajoute Matthieu Lacroix, pour qui le problème va au-delà du CHR d’Orléans. "Dans le département, souligne-t-il, il y a moitié moins d’infirmières formées que dans le département d’à côté."

Manque d’attractivité des professions paramédicales en général et absence de solutions à court terme : pour la sortie de crise, "le désespoir s’installe".

* Les prénoms ont été modifiés.