Les hikikomori, ces personnes qui choisissent de vivre recluses en France ou au Japon

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France 5 s’intéresse mardi soir dans un documentaire aux hikikomori. Ce terme japonais désigne des personnes, souvent jeunes, qui ne sortent plus de leur chambre pendant des semaines, des mois, voire des années. Un mal de l’époque, qu’il faut appréhender avec gravité, souligne sur Europe 1 Michaëlle Gagnet, la réalisatrice du film.

Ils sont invisibles. Et c’est même leur principale caractéristique. En France, le phénomène des hikikomori reste encore largement méconnu. Ce mot, qu’on peut traduire par "se cloîtrer", désigne les reclus sociaux, ces personnes, le plus souvent jeunes, qui ne quittent plus leur chambre, se coupent du reste du monde pendant des semaines, des mois voire des années. Pour les psychiatres, ce mal est encore une énigme. France 5 a décidé de consacrer mardi une soirée à cette maladie, avec un documentaire suivi d’un débat. Michaëlle Gagnet, réalisatrice du film, en dit plus sur les hikikomori, mardi dans l'émission Culture-Médias sur Europe 1.

Qu’est-ce qu’un hikikomori ?

Il n’est jamais aisé de définir un trouble mental. Cela est vrai aussi pour les hikikomori. "Etre un hikikomori, c’est être resté plus de six mois enfermé dans sa chambre. C’est la définition officielle du gouvernement japonais", explique Michaëlle Gagnet. "Il faut bien comprendre qu’on ne parle pas de personnes qui s’isolent pour méditer. On parle bien de problèmes psychiatriques. J’ai vu des cas extrêmes, j’ai vu des jeunes qui pour ne pas sortir ont des bouteilles pour faire leurs besoins. Le cas vraiment extrême, c’est d’être enfermé dans le noir, avec le plateau repas posé devant la chambre", poursuit la journaliste.

Et parfois, c’est toute la famille qui est frappée. "Les psychiatres parlent alors de ‘double hikikomori’, c’est-à-dire quand on a un enfant dans cette situation, on souffre énormément, et il y a une certaine honte sociale de ne pouvoir dire aux autres ce que fait son enfant, ce qu’il devient. Surtout, on se sent totalement impuissant", précise Michaëlle Gagnet. "Le jeune homme s’enferme, et la famille s’enferme. Elle est elle aussi en retrait social. Et n’a plus du tout envie de rencontrer des amis, de voir du monde, parce qu’elle a honte de cette situation. C’est cette honte d’ailleurs qui et au cœur de cette souffrance familiale."

La conséquence, c’est que les hikikomori sont par définition difficile à joindre et à approcher. Ce qui a rendu le travail de la journaliste compliqué. "Je ne pensais pas, pour avoir travaillé sur d’autres sujets sensibles, que ça serait si difficile", confirme la réalisatrice. "Il a fallu parfois passer par de longs mois de conversation, par internet, par mail, ou même par des logiciels sécurisés, parce que certains sont un peu méfiants, presque paranoïaques. Ils ont peur du monde extérieur, ils ne veulent pas communiquer. Souvent, il a fallu aussi les rencontrer seul sans caméra pour qu’ils acceptent. Au final, la majorité a accepté mais avec visage caché."

La France est-elle touchée ?

En France, l’appréhension du phénomène est récente ; une dizaine d’années tout au plus. Ce qui rend complexe le recensement des cas dans le pays. "On n’a pas de chiffres précis puisqu’ils sont invisibles par définition. Mais on pense à des dizaines de milliers de jeunes, plutôt des garçons de moins de trente ans", estime Michaëlle Gagnet. "Il y a aussi un chiffre qui a été donné par le ministère de l’Emploi. Il y aurait près de 900.000 jeunes qui ne sont ni en stage, ni en emploi ni en formation, donc invisibles dans les statistiques. On imagine qu’il y a des hikikomori parmi eux."

Et si des cas ont été recensés en Afrique, en Asie, aux Etats-Unis, c’est au Japon qu’ils sont les plus nombreux. "C’est un tel phénomène qu’il y a plus d’un million d’hikikomori. C’est reconnu comme une maladie", précise la journaliste. "Et face au vieillissement de la population, il y a évidemment des hikikomori qui vieillissent, qui s’enferment aussi parfois vers 50-60 ans, et qui peuvent mourir seul. On les appelle les morts solitaires."

En quoi est-ce un phénomène contemporain ?

Si les hikikomori sont apparus eu Japon, ce n’est pas par hasard. "C’est une société très dure. Dès qu’on sort un peu du chemin que les parents ont choisi, on a des problèmes de grosses pressions sociales et familiales", explique Michaëlle Gagnet. "Et beaucoup de jeunes s’enferment en étant totalement déprimés, dont des burn-out importants."

Et le mal gagne donc tous les pays. "Des sociologues, des anthropologues disent que c’est un mal-être contemporain qui serait peut-être le résultat d’une pression assez forte sur les jeunes, avec beaucoup d’injonction de réussite, de performance, que certains jeunes ne supporteraient pas", souligne la journaliste, qui pointe un autre facteur : "Aujourd’hui, on s’enferme facilement dans une chambre, que les parents mettent à disposition."

Et il y a bien sûr, l’avènement du numérique. "Ils ne sont pas forcément addicts au jeu vidéo. Mais ils ont souvent cette chambre individuelle, donc, et leur ordinateur", approuve Michaëlle Gagnet. "Ça leur permet d’être en contact avec le monde. Certains lisent beaucoup, par exemple, ou sont des as de géopolitique. Ce sont des jeunes intelligents, informés, cultivés, qui ont cette fenêtre sur le monde."

Quels sont les causes de cet isolement ?

Être hikikomori cache souvent un autre malaise. "Derrière cela, il peut y avoir une multitude de choses, des traumatismes, un deuil, une séparation qu’on a du mal à accepter, du harcèlement scolaire, des abus sexuels", énumère la réalisatrice. "Il peut aussi y avoir derrière une maladie psychiatrique. On peut détecter des schizophrénies, de graves dépressions, une psychose. Il se cache toujours quelque chose. Il faut être très attentif quand on a des adolescents qui ont tendance à s’enfermer. Ce n’est pas normal de passer des semaines, des mois, enfermé, et de ne manger qu’avec un plateau repas posé devant la porte."

La journaliste espère désormais contribuer à la reconnaissance des hikikomori. "Aujourd’hui, on connait ce phénomène, il sort du silence, il sort du tabou", se félicite la journaliste. "L’idée c’est de prendre ces cas très tôt. De voir qu’un décrochage scolaire, ça n’est pas anodin. Qu’il y a derrière ça une détresse. Que si un jeune adolescent ne sort pas de sa chambre pendant plusieurs semaines, il faut consulter. On sait que des médecins sont équipés, sont compétents pour détecter ce mal-être."