Les époux Cahuzac se déchirent devant le tribunal

Patricia Cahuzac était, ce lundi entendue pour la première fois de son procès
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Caroline Politi , modifié à
Patricia Cahuzac était, ce lundi, entendue pour la première fois de son procès pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale.

Pendant une semaine, elle est restée impassible, fixant inlassablement le pupitre face à elle, attendant patiemment que le président lui donne la parole. Toute sa vie, Patricia Cahuzac, redevenue Ménard depuis leur divorce en novembre dernier, n’a cessé d’être dans l’ombre de son mari, le brillant chirurgien rencontré sur les bancs de l’université, l’étoile montante de la politique. Mais ce lundi après-midi, cette femme de 60 ans, jugée devant la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour fraude fiscale et blanchiment de fraude fiscale, semble bien décidée à ne pas être spectatrice de son propre procès et à livrer sa vérité.

"Je ne cherche pas du tout à me défausser", affirme-t-elle d’emblée à la barre, chemisier blanc et jupe noire stricte, son uniforme depuis le début du procès. Oui, en 1997, elle a bien ouvert un compte avec son mari sur l’île de Man afin d’encaisser discrètement les chèques d’une partie de la patientèle anglaise de leur clinique d’implants capillaires. "On était très conscients de l’illégalité", reconnaît-elle. "D’autant qu’on n’avait pas la nécessité de le faire, nos revenus étaient suffisants." L’idée leur a été soufflée par le Dr Pouteau, l’ancien propriétaire de la clinique. Et son mari, a déjà des fonds à l’étranger : deux comptes en Suisse pour, comme il l’a révélé lors de la première semaine de son procès, financer les activités politiques de Michel Rocard. 

" On n’avait pas la nécessité de le faire "

C’est elle qui gère le compte, laissant Jérôme Cahuzac se consacrer à sa vraie passion, la politique. Chaque année, elle envoie donc environ 100.000 euros sur ce fonds et se rend "trois fois par an" à Londres pour retirer du liquide, "8 à 9.000 euros", souvent le week-end. "A quoi sert cet argent ?", l’interroge le président. "Bah, à le dépenser", plaisante-t-elle. Le magistrat n’apprécie guère la boutade. Elle se reprend. Les sommes en liquide sont utilisées pour faire tourner le foyer. Le reste, "c’est un peu comme une épargne, je n’avais de projet pour ces sommes." Patricia Cahuzac n’a certes pas les talents d’orateur de son ex-mari, les mots se chevauchent parfois, elle coupe la parole du président  - "mais attendez que je vous explique" -, mais le discours est moins lisse, plus naturel aussi.

Ambiance glaciale. Jérôme Cahuzac s’avance à la barre, sans un regard pour sa femme. Il reconnait avoir été au courant de ce compte, mais assure ignorer qu’elle faisait des retraits. "Je n’ai pas de souvenir de ces sommes, je ne suis pas sûr que notre famille en avait besoin, mais si elle le dit." Il fait une chaleur étouffante dans la salle d’audience mais l’ambiance est glaciale. Le procureur s’interroge sur un retrait plus élevé, de 57.000 euros en 2007. Cet argent aurait-il pu servir à financer sa campagne législative ? "Le financement de mes campagnes a été scrupuleusement légal. Je n’ai d’ailleurs jamais dépassé le plafond légal", assure l’ancien maire de Villeneuve-sur-Lot, peinant à cacher sa colère.

A mesure que la carrière politique de Jérôme Cahuzac s’envole, les liens du couple se détériorent. En 2006, s’apercevant que son mari lui "mentait", référence à peine voilée à ses infidélités, Patricia Cahuzac décide d’ouvrir un second compte, en Suisse cette fois, en son nom propre. "Le but de ce compte n'était pas qu'il soit illégal mais que mon mari ne soit pas au courant. Je me disais que je pouvais me retrouver toute seule avec les enfants. C'est le seul moyen que j'ai trouvé pour me sécuriser", confie-t-elle à la barre. Au lieu d’envoyer l’argent  à Man, elle le met directement sur son compte personnel. L’audition vire à la froide confrontation, parole contre parole. La somptueuse salle des criées prend peu à peu des allures de tribunal des affaires familiales. "On m’aurait dit à l’époque que ma femme était en train de me spolier, je ne l’aurais pas cru."

" Je n'ai pas su lever la contradiction entre l'homme privé et public "

Jérôme Cahuzac avait pourtant lancé les hostilités dans la matinée contre celle à qui il a été marié 35 ans et avec qui il a eu trois enfants. L’ancien ministre du Budget, interrogé sur une remise en espèce de 20.800 euros – 10.000 selon ses souvenirs – en 2011, a indiqué avoir fraudé pour maintenir leur niveau de vie. "Ma femme n’acceptait pas, ou très mal, que je n’assume pas la moitié des frais de notre famille". Assise à quelques centimètres derrière lui, cette dernière ne prend même pas la peine de lever les yeux vers lui. Elle l’écoute sans ciller expliquer que la somme doit servir à financer le mariage de leur fille aînée. "Je ne suis pas parvenu à assumer que mes activités politiques avaient pour conséquence une diminution de mes revenus, qui devaient aussi entraîner une diminution du train de vie de ma famille. Je n’ai pas su lever la contradiction entre l’homme privé et public." C’est l’une des contradictions que le tribunal s’efforce de lever depuis déjà une semaine.