Procès des attentats de janvier 2015 : "Ça ne ramènera pas mon frère", témoigne la sœur d'une victime

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Chloé Triomphe, édité par Léa Leostic , modifié à
Le 9 janvier 2015, deux jours après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo, le supermarché Hyper Cacher était lui aussi visé. François-Michel Saada fait partie des quatre victimes de l’attaque. A la veille du procès qui s’ouvre mercredi, sa sœur, Annie-Laure Saada, s’est confiée au micro d’Europe 1.
TÉMOIGNAGE

Le 9 janvier 2015, deux jours après l’attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo, François-Michel Saada était victime, avec trois autres personnes, de l'attaque terroriste de l'Hyper Cacher, supermarché situé près de la porte de Vincennes, à Paris. Le procès des attentats s'ouvre ce mercredi devant la cour d'assises spécialement composée, où 14 personnes doivent être jugées durant deux mois et demi. L'assaillant, Amédy Coulibaly, a lui été tué par les forces de l'ordre peu après l'attaque. 

Annie-Laure Saada, la sœur de François-Michel, sera présente pour ce procès. Elle a livré un témoignage très fort à Europe 1, à la veille de ce moment tant attendu par les familles des victimes.

Attendez-vous ce procès depuis cinq ans ?

"Je ne peux pas dire que j’attends depuis cinq ans car je savais qu'il allait arriver. Je m'y attendais, et en même temps, je le redoutais. C'est un moment qui risque d'être assez pénible, assez difficile à vivre, d'autant plus que les principaux protagonistes ne sont plus là pour répondre de leurs actes. C'est un procès qui n'aura peut-être pas la même valeur que si on avait l'ensemble des coupables dans le box.

Dans le box, il n'y aura que les complices des terroristes ou ceux qui leur ont apporté une aide. Ce procès peut-il apporter des réponses aux familles des victimes ?

Honnêtement, je n'attends rien. Je préfère ne rien attendre et je ne sais même pas à quoi m'attendre. On verra sur le moment. Je pense que plus qu'un procès des attentats du mois de janvier 2015, ce sera davantage un procès du terrorisme en général. En tout cas, c'est comme ça que je le vis et que je le ressens. Mais je ne sais pas si c'est comme ça qu'il se déroulera.

Aurez-vous envie ou besoin d'évoquer la mémoire de votre frère François-Michel Saada ?

Oui, certainement. Mais ce qui va se dérouler est tellement antinomique avec ce que représentait mon frère, que ça me semble presque incongru. Mon frère était quelqu'un qui aimait la vie, qui respectait les autres. Là, on fait un procès de gens qui ne respectent rien et qui n'accordent aucune valeur à la vie. Donc, j'ai du mal à relier ces deux choses.

Vous serez dans la salle d’audience et allez affronter les accusés. Allez-vous prendre la parole ?

Je ne sais pas si j'en serai capable, si je ne serai pas submergée par l'émotion. Et puis, je ne sais pas si, en fonction des jours et des semaines que je vais vivre, j'aurais l'envie de le faire. Je ne sais pas à l'avance. Mais je sais déjà que je n'assisterai pas à tout parce qu'il y a des choses que je ne veux pas entendre. En revanche, il y a des choses que je veux savoir.

" "Je ne vois pas ce que ce procès pourra m'apporter"  "

L'essentiel est-il que ce procès ait finalement lieu ?

Il est important que justice se fasse et que ce procès ait lieu. Mais personnellement, je ne vois pas ce que ce procès pourra m'apporter. Mais il faut qu'il se tienne. Il faut que les accusés, s'ils sont reconnus coupables, soient punis en fonction de leurs actes et de leur culpabilité. Hormis cela, quel que soit le verdict, ça ne me ramènera pas mon frère.

Cinq après les attentats de janvier 2015, avez-vous peur que la mémoire collective s'efface aujourd'hui ?

C'est important de s'en souvenir, de ne pas s'y habituer, de ne pas banaliser, de ne pas accepter.

Le nom de votre frère et celui des trois autres victimes de l'Hyper Cacher figurent sur une plaque commémorative à côté du supermarché. Quel sens cela a pour vous ?

C'est une bonne chose. François-Michel a une plaque commémorative à Fontenay-sous-Bois, la ville où il a vécu pendant très longtemps. Il y a une deuxième plaque qui porte son nom, à côté de la porte de Vincennes. C'est important parce que je pense qu'aujourd'hui, si vous interrogez des gens au hasard dans la rue, il y en aura assez peu qui sauront vous dire quels étaient les noms des quatre victimes de l'Hyper Cacher. Alors que tout le monde aura retenu les noms des assassins.

Le 9 janvier 2015, vous n'avez pas appris tout de suite que votre frère faisait partie des victimes.

Je n'ai su que vers 20h30, mais j'avais un très mauvais pressentiment dès le début de l'après-midi. Dès que j'ai su ce qui s'était passé dans cette épicerie, c'était comme si je le savais déjà. Parce que je lui ai envoyé des SMS, j'ai essayé de le joindre au téléphone et bien sûr, il ne répondait pas. C'était comme s'il était à côté de moi et qu’il me disait "mais je ne peux pas te répondre, je suis mort". C'était une attente interminable.

" "Les juifs ne sont toujours pas à l'abri. Le danger et la haine sont toujours là" "

Votre frère allait rarement faire ses courses dans cet Hyper Cacher. Avez-vous l'impression qu'il est mort au hasard ?

Il est mort parce qu'il était juif. Evidemment qu'il (Amédy Coulibaly, ndlr) cherchait à tuer des juifs. Il s'est rendu dans l'endroit où il pouvait espérer à coup sûr en trouver le plus grand nombre possible.

Les terroristes ont pris pour cible des journalistes satiriques et des juifs. Chacun dans son registre cristallisait la haine des assaillants. Est-ce toujours incompréhensible pour vous ?

C'est non seulement quelque chose qui est toujours incompréhensible et inadmissible, mais c'est aussi quelque chose qui est malheureusement toujours vrai : les caricaturistes, les journalistes satiriques ne sont toujours pas à l'abri et les juifs ne sont toujours pas à l'abri. Le danger et la haine sont toujours là. D'autant plus qu'il y a des personnes qui finissent de purger des peines en lien avec des actes de terrorisme qui vont sortir de prison dans les mois qui viennent.

Malgré tous ces sentiments, vous serez présente à l'ouverture du procès.

Oui, je serai là le premier jour. Je vous avoue que je suis morte de trouille."