La langue corse est-elle (vraiment) menacée de disparaître ?

© STEPHAN AGOSTINI / AFP
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L’usage courant de la langue corse décline année après année. La nouvelle majorité au pouvoir veut en faire une langue officielle à côté du français.

C’est l’une des revendications de l’alliance nationaliste, qui a pris la tête de la nouvelle collectivité corse : officialiser la langue corse, afin de lui donner le même statut que le français sur l’île. Aujourd’hui, l’usage du corse dans les discours officiels est prohibé par la Constitution. Mais le nouveau dirigeant de la collectivité, Jean-Guy Talamoni est bien décidé à faire bouger les lignes, lui qui a déjà bravé l’interdiction en prononçant des discours officiels dans sa langue régionale, dont celui de son investiture mardi.

"La langue, c'est la culture, le droit pour nous de faire en sorte qu'elle ne disparaisse pas. Il y a des études scientifiques qui disent très clairement qu'à défaut d'un statut d'officialité notre langue va disparaître, nous ne pouvons pas accepter que cette part de nous-même disparaisse", a plaidé Jean-Guy Talamoni, mercredi sur Europe 1.

Le lent déclin de la langue corse

Selon le dernier recensement de l’Insee, qui date de 2004, 45% de la population adulte de l’île, soit 90.000 personnes, s’exprime dans un dialecte corse dans la vie courante. Un sondage plus récent, réalisé par Opinion Way en novembre 2015 auprès de 508 personnes représentatives de la population corse, indiquait que 42% de la population parlait bien (28%) ou assez bien (14%) le corse. Une chiffre bien plus élevé que les autres langues régionales (environ 30% des Basques parleraient basque et 5% des Bretons parleraient breton) mais qui ne cesse de diminuer d'année en année. En 1977, près de 80% des Corses parlaient un dialecte de l’île, selon l’Insee. Un chiffre tombé à 64% en 1995, avant de passer en dessous des 50% à l’aube des années 2000.

Principale explication : les parents corsophones ne seraient plus que 10% à transmettre leur langue régionale à leurs enfants, selon l’ethnologue Jean-Marie Arrighi. Et le déclin ne semble pas prêt de s’enrayer. Selon Opinion Way, seuls 26% des 18-24 ans et 23% des 25-34 ans déclarent parler corse, contre 52% pour les 50-64 ans et 64% pour les 65 ans et plus. Et l’instauration, en 2002, d’un cours obligatoire à l’école primaire (entre 1h30 et 3 heures par semaine selon les écoles) ne semble pas avoir enrayé la tendance.

L’officialisation, un "pilier de la revitalisation linguistique" ?

Mais que changerait la "coofficialisation" de la langue corse, c’est-à-dire son officialisation au même titre que le français ? En réalité, les études sur le sujet ne foisonnent pas.

Dans un article mis en ligne sur le site d’archives du CNRS, Sébastien Quenot, directeur de cabinet de Jean-Guy Talamoni et lui-même chercheur en linguistique, le reconnaît : la "coofficialisation" à côté de l’anglais n’a pas permis aux Irlandais d’empêcher le déclin du gaélique. Mais selon lui, les Irlandais ne sont pas allés assez loin, puisque cette reconnaissance statutaire n’a jamais été suivie d'actions concrètes. Comment éviter de réitérer cette erreur ?

Création d’une Académie pour unifier le corse et permettre à la société civile et aux entreprises d’avoir des ressources grammaticales solides, formation des agents territoriaux, possibilité de faire des démarches administratives en corse, de communiquer en corse sur internet, développement des classes bilingues… L’ancien chef de service du conseil linguistique de la Collectivité territoriale de Corse propose un ensemble de "piliers de la revitalisation linguistique", dont la cooficialisation serait le point de départ.

"Le problème est l’usage dans des contextes urbains et modernes"

Mais pour d’autres chercheurs, l’impact d’une révision des statuts aurait peu d’influence sans une vaste mobilisation de la société. "La vraie difficulté est de donner à un jeune corsophone issu de l’école des lieux d’usage social de sa langue dans un cadre moderne", écrit ainsi l’ethnologue Jean-Marie Arrighi. Et d’enchaîner : "La réponse suppose la conjonction entre une politique publique de plus en plus cohérente et des milliers de choix individuels : parler corse quand on le peut, non seulement à ceux que l’on connaît, mais à d’autres, dans la rue, dans les commerces, non seulement entre adultes mais aux enfants qui l’apprennent à l’école".

"Le problème est l’usage dans des contextes urbains et modernes. L'apprendre ne suffit plus, il faut le pratiquer. Le corse ne doit pas devenir une langue morte, comme le latin. On pourra dire que le combat sera gagné le jour où les enfants de 10 ans en sauront plus que les adultes", avance aussi le linguiste Claude Hagège, dans une interview à l’Express.

En outre, rien ne dit que le gouvernement actuel changera quoi que ce soit à la politique de ses prédécesseurs. Réagissant à la victoire des nationalistes, le Premier ministre l’a assuré à l’Assemblée mi-décembre : les initiatives de la nouvelle majorité devront être "conformes au cadre constitutionnel". Sans préciser, toutefois, s’il était prêt à ce que celui-ci évolue.