"Journée morte" dans la justice : les mesures qui cristallisent les tensions

Le projet de réforme de la justice devrait être voté vendredi à l'Assemblée nationale (photo d'illustration).
Le projet de réforme de la justice devrait être voté vendredi à l'Assemblée nationale (photo d'illustration). © AFP
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avec AFP
Les avocats se mobilisent dans toute la France, jeudi, pour dénoncer le projet de loi débattu à l'Assemblée nationale depuis lundi et qui doit être adopté en fin de semaine.

Sur la carte partagée par la Conférence des bâtonniers sur Twitter, les symboles noirs couvrent la quasi-totalité du territoire. Jeudi, plus de 100 barreaux - sur 164 - participent à la "journée morte" de la justice, pour protester contre une réforme portée par Nicole Belloubet et jugée "illisible" et "inhumaine". Deux jours après l'ouverture des débats sur le texte à l'Assemblée nationale, les avocats font grève contre les grands axes de la nouvelle loi. Ils ne contestent pas l'augmentation du budget de la justice - de 6,7 à 8,3 milliards entre 2017 et 2022 - mais dénoncent, comme les magistrats, la révolution numérique et la "simplification des procédures" civile et pénale qui doivent l'accompagner. Europe 1 fait le point sur les principales mesures controversées.

Le sort des "petits litiges" incertain

La réforme prévoit la fusion des tribunaux d'instance (TI, rebaptisés "tribunaux de proximité") et des tribunaux de grande instance (TGI). Sur ce point, les magistrats sont particulièrement préoccupés par le sort du juge d'instance, qui tranche les petits litiges civils du quotidien (dettes impayées, expulsions locatives, tutelles...). L'Union syndicale des magistrats (USM), premier syndicat de la profession, souligne en effet que le siège, le ressort et les compétences du futur "tribunal de proximité" "seront fixés plus tard par décret de sorte que rien ne garantit le maintien de tous les sites actuels ni le traitement sur les sites maintenus des contentieux actuellement traités".

Le réexamen des pensions alimentaires confié à la CAF ?

En matière d'affaires familiales, le projet de loi prévoit la suppression de l'audience de conciliation pour les divorces, mais aussi un changement concernant les pensions alimentaires. En cas d'évolution dans la situation d'un parent divorcé (remariage, perte d'emploi, arrivée d'un nouvel enfant…), celui-ci peut aujourd'hui déposer une demande de révision du montant de sa pension auprès d'un juge des affaires familiales. Pour gagner du temps - plus de six mois de délai d'examen en moyenne -, le texte porté par Nicole Belloubet propose, à titre expérimental, une "déjudiciarisation" de cette procédure, qui pourrait être prise en charge par les caisses d'allocations familiales (CAF). "Le pouvoir de juger ne doit pas être transféré à une autorité qui ne présente pas les garanties d'indépendance du juge judiciaire", estiment les magistrats, craignant la mise en place d'un "barème" ne laissant pas de place à l'individualisation des dossiers.

Les pouvoirs du procureur renforcés

En matière pénale, les avocats dénoncent des droits de la défense et des victimes "diminués de manière drastique". Dans son volet "numérisation", le projet prévoit par exemple la possibilité de procédures écrites sans audience, qui pourront, pour certains litiges, se dérouler à distance, de manière dématérialisé. La loi assouplit également les modalités de prolongement d'une garde à vue, à l'issue d'une première période de 24 heures, sans présentation systématique au procureur. "Un point de crispation s'est ajouté à de nombreux autres : un amendement prévoit la suppression de l'enregistrement du gardé en vue en matière criminelle. Or cet enregistrement constitue la garantie que les interrogatoires ont été faits sans pression", a expliqué à l'AFP Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux (CNB).

La crainte d'une réforme de la carte judiciaire

La réforme en cours de débat prévoit aussi un certain nombre d'expérimentations impactant le maillage territorial de la justice. C'est le cas des "tribunaux criminels départementaux", à mi-chemin entre tribunal correctionnel et cour d'assises, pour les crimes passibles de 15 à 20 ans de prison, notamment sexuels. Mais aussi de la "spécialisation des cours d'appel", initialement prévue dans deux régions sur treize et étendue à cinq de plus par amendement. Celle-ci entraînerait la nécessité pour les justiciables de se déplacer, dans certains cas, vers une autre cour que celle se situant le plus près de chez eux. Les bâtonniers du grand Sud-Est y voient "la mise en oeuvre d'une dévitalisation de certaines cours d'appel" et le coup d'envoi d'une future réforme de la carte judiciaire, contrairement aux "engagements" de la ministre. 

Les mineurs bientôt jugés "plus vite" ?

L'annonce a été faite par surprise, mercredi : pour la première fois, la garde des Sceaux a fait part de sa volonté d'utiliser son projet de loi pour créer un "code de justice pénale des mineurs", par ordonnances. "Nous devons juger plus vite les mineurs, pour qu'ils prennent conscience, lorsqu'il y a lieu, de la gravité de leurs actes", a notamment déclaré Nicole Belloubet, s'attaquant à un totem difficile à réformer : un rapport sénatorial a récemment réaffirmé "la primauté de l'éducatif sur le répressif" et une mission d'information sur la justice des mineurs est en cours à l'Assemblée nationale.