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Louise Sallé , modifié à
La Commission indépendante sur les violences sexuelles faite aux enfants (Ciivise), organise, pour les victimes d’inceste, des réunions publiques dans plusieurs grandes villes de France. Mercredi soir, près de 200 personnes sont attendues à Paris, un record. Les participants proposent leurs idées pour améliorer la prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles.

Permettre aux victimes de raconter leurs histoires, et de trouver du soutien. La Commission indépendante sur les violences sexuelles faite aux enfants (Ciivise), créée en janvier 2021 par le gouvernement, organise depuis l’automne des réunions publiques dans plusieurs grandes villes de France. Mercredi soir, près de 200 personnes sont attendues à Paris au palais de la Femme dans le XIe arrondissement.

C’est un record depuis que ces rencontres ont lieu. Une autre rencontre a d'ailleurs été fixée, en mai, dans la capitale. Les personnes, majoritairement des femmes, qui assisteront à la réunion mercredi soir ont à cœur de suggérer des pistes d'amélioration à la justice française face aux cas d'inceste.

La commission présentera très prochainement une liste de recommandations, à la fin du mois de mars. Et beaucoup d’espoirs sont placés dans ce rapport pour faire changer les choses.

Une mère raconte que son fils a été abusé par le grand-père

Parmi les participants à la réunion, Marie* racontera l'histoire de son fils Jules, aujourd'hui âgé de 10 ans, pour la première fois devant un public. Elle veut être la plus claire possible, pour bien se faire comprendre. "Jules avait 2 ans lorsque c’est arrivé", commence-t-elle. "Il m'en a parlé dès lors qu’il a su verbaliser les choses. Il m’a décrit son grand-père paternel comme un agresseur sexuel qui lui grattait les fesses, qui lui frottait le zizi contre son dos et ses fesses. Et ils jouaient tous les deux, comme ça, pendant les vacances scolaires”, débite-t-elle froidement.

Le pédiatre a repéré des plaies au niveau de l’anus, d’abord interprétées comme une infection. "Jules avait des gestes d’hypersexualisation, il baissait sans cesse son pantalon, ou bien refusait catégoriquement qu’on lui enlève sa couche… J’ai fini par déposer plainte au commissariat", confie Marie. Une enquête préliminaire est ouverte, finalement classée sans suite. Puis Marie se constitue partie civile afin de faire rouvrir le dossier, cette fois-ci devant le procureur de la République.

Un parcours "de combattante devant la justice"

Cela fait désormais huit ans qu’elle mène un "parcours de combattante devant la justice". Malgré des déclarations "écœurantes" de Jules sur les actes qu’il a subi, des rapports pédopsychiatriques confirmant ses dires, des constats de "fissures anales" établis par des médecins, le grand-père de Jules, ardemment défendu par l’ex-époux de Marie, n’a jamais été mis en examen.

Marie souhaite que sa prise de parole, lors de la réunion publique de la Ciivise, ait un but : faire en sorte que la justice protège les enfants de leur agresseur lorsqu’une enquête est en cours. Cela n'a, effectivement, pas été le cas pour son fils : le grand-père de Jules l’a revu, un an après les faits, et a récidivé. "Pourquoi les enfants ne bénéficient-ils pas d’ordonnances de protection, au même titre que les victimes de violences conjugales ?", s'interroge-t-elle.

La demande d'un accompagnement à vie pour les victimes

Florence, 47 ans, a été victime d’inceste jusqu’à ses 21 ans. Elle parlera également mercredi soir devant la Ciivise pour demander à ce qu’un accompagnement des victimes soit mis en place, tout au long de leur vie, et encadré par l’Etat. "Je me rappelle chaque geste, la sensation, l’odeur d’être violée par mon père. Il n’y a rien de pire quand on a des parents qui ne nous protègent pas", décrit Florence dont la mère, au courant, n’a jamais dénoncé et a laissé faire. "Il faut vraiment aider les enfants qui subissent ça aujourd’hui, et ceux qui l’ont subi hier, à se reconstruire."

Elle éprouve de grandes difficultés à avoir une sexualité. "J’en ai peur, c’est l’inconnu, je suis comme une adolescente", explique-t-elle. "Je ne veux pas qu’on me touche… Ça fait à peine deux ans que je me sens capable d’aller dans un institut de beauté et de me dévêtir", raconte-t-elle. Florence sait qu’elle n’oubliera pas : "C’est marqué au fer rouge pour la vie", répète-t-elle. "Mais je suis en train de me reconstruire, sexuellement et thérapeutiquement. C’est très important que chaque victime le fasse", avance Florence, "ça leur rend leur dignité".

La Civiise va faire des préconisations à la justice

Si les victimes désirent mettre en avant autant de revendications lors de cette réunion publique parisienne, c’est parce que la commission inceste fera, dans quelques semaines, des préconisations à la justice. La Ciivise a déjà reçu 10.000 témoignages via ces rencontres, mais aussi des appels et des mails. Pour le juge Edouard Durand, président de la Ciivise, "c’est un mouvement immense, qui exige de profondes transformations de la société, pas seulement de la justice."

Les victimes s’interrogent par exemple, régulièrement et a posteriori, sur le manque de courage de l’entourage adulte qui n’a rien dit. "Ce qu’on raconte est inaudible", décrypte Kamélia, violée entre 4 et 8 ans. "Je n’ai jamais su que j’avais été abusée par mon père jusqu’à ce que des flashs m’apparaissent très clairement et me remémorent les scènes. J’avais 27 ans."

Les souvenirs de Kamélia jugés "trop flous"

Kamélia se tourne alors vers la justice, qui conteste ses souvenirs, jugés trop "flous". "J’ai fait huit ans de procédure judiciaire et ça a été un calvaire monumental. Ça s'est terminé sur un non-lieu." Pour la jeune femme, "il faut former la société à écouter : l’entourage, l’école, les institutions… Personne ne comprend le phénomène d’amnésie traumatique", déplore-t-elle, "ça paraît aberrant qu’on puisse oublier des faits aussi marquants, puis s’en rappeler brusquement", souligne Kamélia.

Le juge Edouard Durand l’assure, le travail de la Ciivise comptera pour l’avenir : "Chaque personne qui nous livre son témoignage le fait pour que les enfants, aujourd’hui, soient mieux protégés : c’est de cette exigence que nous sommes dépositaires."

* Les prénoms de ces personnes ont été modifiés, pour préserver leur anonymat.