Guerre d'Algérie : Macron reconnaît qu'Ali Boumendjel a été "torturé et assassiné" par l'armée française

Ali Boumendjel
La veuve d'Ali Boumendjel, Malika Boumendjel, ici en 2001, au côté du portrait de son mari, mort en 1957. Photo d'archives. © ERIC FEFERBERG / AFP
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avec AFP , modifié à
La reconnaissance de la torture et de l'assassinat du militant nationaliste Ali Boumendjel, annoncée mardi soir, fait partie des gestes d'apaisement préconisés par la mission menée par l'historien Benjamin Stora.

Emmanuel Macron a reconnu mardi que l'avocat et dirigeant nationaliste Ali Boumendjel a été "torturé et assassiné" par l'armée française pendant la guerre d'Algérie en 1957, a annoncé l'Elysée, un meurtre à l'époque maquillé en suicide. Cette reconnaissance "au nom de la France", que le chef de l'État a lui-même annoncé aux petits-enfants d'Ali Boumendjel en les recevant mardi, fait partie des gestes d'apaisement recommandés par l'historien Benjamin Stora dans son rapport sur la colonisation et la guerre d'Algérie, afin de résoudre les tensions entre les deux pays autour de la mémoire de ce conflit.

Vives critiques sur le rapport Stora

Benjamin Stora, spécialiste reconnu de l'histoire contemporaine de l'Algérie, avait été chargé en juillet par le président Emmanuel Macron de "dresser un état des lieux juste et précis du chemin accompli en France sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie".

Diversement accueilli, son rapport, remis à Emmanuel Macron le 20 janvier, a soulevé de vives critiques, aussi bien en Algérie qu'en France, notamment pour ne pas avoir préconisé des "excuses" de Paris pour les crimes de la période coloniale (1830-1962).

Ardent militant anticolonialiste

Avocat réputé et ardent militant anticolonialiste, Boumendjel fut membre de l'Union démocratique du manifeste algérien (UDMA) créée en 1946 par Ferhat Abbas, le premier président du GPRA - gouvernement provisoire de la république algérienne. Il devient l’avocat des nationalistes, suivant les traces de son grand-frère Ahmed.

Survient la "bataille d'Alger" de janvier à octobre 1957 (quand les paras français ont recours à la torture et aux exécutions sommaires pour mettre fin aux attentats du FLN : NDLR) "Lorsque nous avons appris le 9 février 1957 son arrestation, mon père était alors avocat à Paris. Je me souviens à quel point la simple annonce de son arrestation a constitué un électrochoc pour mon père", racontait en janvier sa nièce, Fadela Boumendjel-Chitour, à l'AFP.

"Il avait réalisé qu'étant donné l'horrible répression de l'époque, tous les dangers planaient sur la tête de son jeune frère. Il n'a cessé d'alerter les autorités civiles, religieuses de France en envoyant des télégrammes pour dénoncer son arrestation arbitraire et l'absence d'information". Il écrit au président du Conseil René Coty. Fin février, la famille a su qu'il avait été hospitalisé à l'hôpital militaire Maillot à Bab El Oued.

Mort maquillée en suicide

Fin février, la famille a su qu'il avait été hospitalisé à l'hôpital militaire Maillot à Bab El Oued. "Mon père a appris qu'il aurait tenté de se suicider avec le verre de ses lunettes. C'était glaçant". Deux médecins de la famille furent appelés pour reconnaître le corps. Les grands-parents eurent un chagrin énorme de ne pouvoir lui dire adieu. Son cercueil était scellé.

Ce qui a bouleversé sa famille, c'est que jusqu'aux aveux du général parachutiste Paul Aussaresses en 2000, la mort d'Ali Boumendjel a été maquillée en suicide. "On nous a fait croire qu'il s'était jeté d'un immeuble à El Biar. J'espère qu'il était déjà mort avant la chute. Il avait 38 ans". La famille a reçu de nombreuses lettres de condoléances, dont celles de Pierre Mendès-France et François Mauriac "qui s'excusèrent dès le lendemain au nom de la France".

L'ami et professeur de droit d'Ali Boumendjel, René Capitant, juriste et homme politique, démissionna de la faculté de droit. "Je crois que les responsables politiques français ne mesurent pas à quel point des familles entières ont été dévastées par les mensonges d'Etat", souligne aujourd'hui la nièce du militant assassiné. Elle aimerait que l'on reconnaisse que "le colonialisme est une atteinte à la dignité humaine au même titre que la Shoah et l'esclavage".

"La réhabilitation (d'Ali Boumendjel) est une approche de la vérité. C'est bien, à condition que l'on reconnaisse qu'il a été sauvagement torturé durant des semaines et que son assassinat a été masqué en suicide", dit-elle du rapport Stora.