"Gilets jaunes" : sans structure politique, le mouvement peut-il tenir ?

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Anaïs Huet
Après la réussite de leur mobilisation ce week-end, certains "gilets jaunes" ont réinvesti les routes et les ponts lundi pour poursuivre leur mouvement. Mais ce groupe aussi massif qu'hétérogène sera-t-il entendu, dès lors qu'il rejette les partis politiques et les forces syndicales ?
LE TOUR DE LA QUESTION

Près de 300.000 personnes ont manifesté ce week-end, vêtues de gilets jaunes, symboles de leur colère et de leur épuisement face aux taxes qui les étranglent financièrement. Si quelques figures ont émergé médiatiquement pour porter la parole de ces Français (Jacline Mouraud, Priscilla Ludosky…), le mouvement se revendique apolitique, asyndical, et défie quiconque de récupération. Chez Wendy Bouchard lundi matin, deux spécialistes politiques ont tâché d'analyser ce mouvement "inédit" par sa nature et sa représentation.

>> De 9h à 11h, c'est le tour de la question avec Wendy Bouchard. Retrouvez le replay de l'émission ici

La diversité des "gilets jaunes"

Le mouvement des "gilets jaunes" concerne non pas "une région comme c'était le cas pour les Bonnets rouges, ni une profession particulière comme les transporteurs routiers, mais grosso modo 80% de la population. C'est gigantesque", observe Jérôme Sainte-Marie, politologue et président de l'institut de conseils et d'études Pollingvox.

Présent sur les Champs-Elysées samedi, il a pu observer la cohorte de manifestants, dans laquelle cet expert ne reconnaissait aucun visage. Car ces "gilets jaunes" ne sont vraisemblablement pas des habitués des cortèges. Jérôme Sainte-Marie y a vu "le spectacle d'une diversité comme on n'en trouve plus jamais dans les meetings politiques, de gauche comme de droite."

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Structurer le mouvement, oui mais comment ?

Si ce mouvement est massif et transversal, il a toutefois besoin d'une structure pour perdurer, considère Bernard Vivier, directeur de l'Institut supérieur du Travail. "La force des 'gilets jaunes' jusqu'à présent, c'est la force des réseaux sociaux", grâce auxquels le mouvement s'est fait connaître et s'est organisé. "La colère est réelle mais l'outil reste virtuel. Quand on passe à l'action de terrain, de son ordinateur à des ronds-points, il faut des acteurs, des structures. Et là, ça s'appelle ou des partis politiques, ou des organisations syndicales", tranche le spécialiste.

Bernard Vivier cite tour à tour les Bonnets rouges, "soutenus par des leaders politiques, syndicaux, locaux", ou encore La Manif pour Tous, portée par "des associations familiales." "Tout cela était structuré. Aujourd'hui, on ne voit pas, en remplacement des partis, des forces structurées capables de faire durer le mouvement", juge-t-il. Dès lors, le directeur de l'Institut supérieur du Travail voit deux traductions possibles au mouvement du 17-Novembre : "Quelques leaders ponctuels qui émergent, mais qui s'épuisent dans l'immensité du chantier à opérer. Ou bien une récupération par des forces politiques ou syndicales."

Des assemblées générales partout en France

C'est pour éviter de faire ce choix insatisfaisant que certains "gilets jaunes" veulent d'eux-mêmes créer les instances qui serviront à pérenniser l'élan. Christophe Chalençon, porte-parole du mouvement dans le Vaucluse, a mis en avant, lundi matin au micro de Wendy Bouchard, la capacité organisationnelle de ses camarades. "Notre mouvement s'est structuré très rapidement. On a compté 47 points de blocage samedi dans le département. Il n'y a eu aucun incident majeur, aucun grief avec les forces de l'ordre. Ça montre que ça a été très très bien préparé", insiste-t-il. Et d'annoncer : "Aujourd'hui, nous essayons de construire une structure nationale pour la représentativité des 'gilets jaunes'."

"Gilets jaunes" : les politiques doivent-ils céder à la colère de la rue ?

 

Dans tous les départements, des réunions se tiennent, en préambule d'une potentielle "assemblée générale citoyenne". Face à un gouvernement qui n'entend pas céder à leurs revendications, que décideront les "gilets jaunes" ? Comment poursuivront-ils leurs actions ? "Vu que les ressources financières des manifestants sont faibles, il y a deux options", répond Jérôme Sainte-Marie. "Soit se mobiliser tous les week-ends sur leurs jours de repos, soit se mobiliser très durement en bloquant tout, pour que le mouvement dure le moins longtemps possible."

Pour l'heure, rien n'est tranché. Mais Jérôme Sainte-Marie s'interroge : "comment un mouvement aussi diffus, aussi désorganisé par principe, peut réussir à se fixer une seule ligne stratégique ? C'est une nouvelle énigme dans le rébus global."