Frères de sang, frères dans le djihad

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avec VS , modifié à
L'identification des frères El Bakraoui comme deux des kamikazes des attentats de Bruxelles s'inscrit dans la longue lignée des fratries djihadistes. 

Abdeslam, Kouachi, Tsarnaev, Clain…  Des noms qu'il faut conjuguer au pluriel puisque tous sont frères. A cette litanie sanglante, il faut ajouter depuis mercredi matin un autre nom, celui des frères El Bakraoui qui se sont fait exploser mardi pour l'un à l'aéroport de Bruxelles et pour l'autre dans le métro de la capitale belge. Des frères de sang devenus frères dans le djihad. 

Un recrutement plus facile, une radicalisation mutuelle. "Les propagandistes, les recruteurs s'intéressent aux fratries car il est toujours plus facile d'attraper plusieurs personnes de la même famille", explique à Europe 1 le psychanalyste Patrick Amoyel. 

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Rester entre frères, c'est une sécurité parce qu'on ne bascule pas seul

"Depuis Tsarnaev (les frères responsables des attentats de Boston en 2013, ndlr), on a l'habitude de voir des frères", relève pour sa part l'expert en terrorisme, Claude Moniquet.  "Rester entre frères pour basculer du groupe familial au groupe radical, c'est une sécurité parce qu'on ne bascule pas seul, on n'est pas obligé de couper tous les liens familiaux", explique de son côté au micro d'Europe 1 l'anthropologue spécialiste de la radicalisation Dounia Bouzar.

Les différents ressorts psychologiques de la radicalisation. Premier cas auquel on pense spontanément : les fratries abandonnées à leur sort, sans cadre ou autorité parentale, qui basculent dans le terrorisme islamiste après souvent, un passé de délinquant. C'est ce qui s'est passé pour les frères Kouachi, ces enfants d'immigrés algériens dont les parents n'avaient pas pu les prendre en charge. Placés par les services sociaux dans un foyer, Said et Cherif Kouachi se sont ensuite retrouvés orphelins à 15 et 13 ans. Mis à la porte par un oncle après leur majorité, les deux frères trouveront du réconfort dans la religion avant de basculer dans le djihadisme.

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Deuxième cas expliqué par Patrick Amoyel : "les frères considèrent leurs parents, la génération précédente, comme des traîtres car ils se sont mélangés aux 'mécréants". "Il y a donc un rejet de la trahison des parents et une émulation des frères pour racheter la faute parentale", développe le psychanalyste. Enfin, dernier cas : "les parents sont déjà radicalisés, et il y a l'identification au père, une influence familiale", ajoute-il. Des cas typiques que ce psychanalyste rencontre chaque jour dans son travail. Il travaille notamment au sein de l'association "Entr'autres" qui œuvre à la déradicalisation de jeunes tentés par les thèses djihadistes.

Qui prend l'ascendant ? Dans plusieurs cas, le "grand frère" n'est pas toujours celui qu'on croit. "Ce n'est pas toujours l'aîné qui prend l'ascendant", assure ainsi Patrick Amoyel. Et les exemples sont effectivement légions. Brahim Abdeslam, qui s'est fait exploser dans une brasserie du XIe arrondissement de Paris sans faire de victimes, n'était clairement pas le leader. "Il ne se sentait pas à la hauteur des autres", se souvient-il son avocat Olivier Martins, dans un article du Monde. Son petit frère, Salah, aujourd'hui sous les barreaux, a toujours été décrit comme plus rusé, plus malin.

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Une histoire qui en rappelle là encore une autre, celle des frères Kouachi, auteurs de l'attaque de Charlie Hebdo. Là aussi, c'est le cadet Cherif qui mène la danse, celui qui se fait remarquer dès le collège, celui qui sera jugé dans le procès de la filière des Buttes-Chaumont et se radicalisera en prison au contact d'Amedy Coulibaly. Son frère Said, décrit comme plus introverti, souffre même de lacunes intellectuelles et d'un gros problème de vision, comme le rappelle Le Monde.

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On trahit beaucoup moins son frère de sang

Quelle menace ? "Une cellule impénétrable". Face à ces fratries unies dans la folie meurtrière, les services de renseignement font face à un mur. "Une cellule djihadiste avec des frères est beaucoup plus sécurisée", d'une part pour les communications; d'autre part, parce que l'"on trahit beaucoup moins son frère de sang", note Patrick Amoyel. "On est face à une cellule impénétrable", renchérit Claude Moniquet. "Il y a une symbiose entre frères, une compréhension presque instinctive. C'est une des choses qui fait que cette menace terroriste est dure à gérer".