Enfants issus de GPA : voyage au bout de l'enfer administratif

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Image d'illustration © PHILIPPE HUGUEN / AFP
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SOCIÉTÉ - Nationalité française, passeport, sécurité sociale… les familles ayant eu recours à une GPA doivent se battre pour que leurs enfants obtiennent les mêmes droits que dans les autres familles.

Un no man's land juridique, voilà le meilleur terme pour définir la situation des 2.000 enfants issus de GPA qui vivent aujourd'hui en France, auprès de parents hétérosexuels ou homosexuels. Des Français ont en effet recours à la gestation pour autrui (GPA) dans les pays où elle est autorisé, puisqu'elle est illégale en France. Vendredi, la Cour de cassation a cependant pris une décision très importante, qui pourrait faciliter leurs vies quotidiennes. Mais en attendant qu'elle fasse effet et même si le tribunal de Nantes a décidé en mai de transcrire dans l'état civil français les actes de naissance étrangers de trois enfants issus de GPA, les démarches administratives peuvent s'éterniser pour ces familles et s'apparenter à de vrais combats. Europe 1 a voulu faire le point sur les obstacles que rencontrent ces familles dans leur quotidien.

Une enquête de police pour rattacher son enfant à la Sécu. "On ne rentre pas dans les cases", voilà comment Pierre résume la situation de sa famille, dont l'histoire, pourtant, ressemble à celle de beaucoup d'autres. C'est en 2010 qu'il se marie avec Serge au Canada, puis vient un petit garçon, Adrien, né en 2014 dans l'Oregon, aux États-Unis. Si outre-Atlantique, aucun problème n'est à relever (un acte de naissance mentionnant les deux pères et un passeport américain sont remis à l'enfant), en France, ce n'est pas la même musique.

Entendu sur europe1 :
Il a fallu menacer de tout balancer sur Facebook

Pour faire rattacher Adrien à sa Sécurité sociale, Pierre a dû subir "une enquête de police par téléphone demandée par la Sécu des Hauts-de-Seine". "Ils nous ont demandé des tests ADN pour savoir qui était le père biologique ainsi que mes relevés bancaires", raconte-t-il à Europe 1. "Il a fallu menacer de tout balancer sur Facebook" pour faire plier l'administration rétive, rapporte Pierre. Selon lui, c'est un haut responsable qui bloquait son dossier, "ces personnes privilégient leur philosophie plutôt que de respecter la loi".

France et Europe, à chacun son droit ? Mais, justement, que dit la loi ? Pour résumer, la Cour de cassation a déclaré en 2013 que, la GPA étant une pratique frauduleuse en France, tous les actes qui en découlent sont donc déclarés caduques. Mais en juin 2014, coup de théâtre, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) évoque "l'intérêt supérieur de l'enfant" pour demander à la France de reconnaître ses enfants et leurs filiations en transcrivant dans l'état civil français leurs actes de naissance fait à l'étranger. Cette décision, supérieure au droit national, est d'application immédiate.

Marche arrière donc ? Oui, mais non. Les administrations se sont en partie mises à la page : certains tribunaux, la Sécurité sociale et la Caf ont par exemple décidé de traiter de manière égale tous les enfants, issus de GPA ou pas. Le tribunal de Nantes a même décidé en mai de transcrire trois actes de naissance d'enfants nés de GPA dans les registres français. Mais en réalité, certaines personnes continuent à faire la sourde oreille en ignorant la décision européenne. Et elle s'appuient pour cela sur la jurisprudence française qui ne reconnaît toujours pas la filiation qui existe entre ces enfants et leurs parents. C'est pour cette raison qu'à Nantes, le parquet a fait appel de la décision de transcrire les trois actes de naissance.

MYCHELE DANIAU / AFP

Sans passeport, pas de voyages à l'étranger. D'où des situations inacceptables explique Alexandre Urwicz, président de l'association des familles homoparentales : "On leur refuse les allocations familiales sous prétexte qu'ils ne sont pas les parents mais à ce moment-là, allons jusqu'au bout de la logique, pourquoi on ne leur retire pas ces enfants pour les mettre à la Ddass ?", s'offusque-t-il.

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14 mois d'attente pour obtenir le passeport de ma fille

Et il n'y a pas que la Sécurité sociale qui fait des siennes. Stéphan, 40 ans, marié et papa d'un petite fille de quatre ans née aux États-Unis, dénonce 'l'excès de zèle" dont sa famille a été victime lors d'une demande de passeport. "L'officier d'état civil a transmis notre dossier de demande à sa directrice et cette dernière l'a fait remonté au ministère de l'Intérieur". Résultat ? "14 mois d'attente pour l'obtenir".

Dominique Boren, requérant dans l'affaire que tranche la Cour de cassation vendredi, rapporte, pour sa part, "une situation hallucinante". Père d'un enfant issu d'une GPA effectuée en Russie en 2011, il s'interdit les voyages en-dehors de l'espace Schengen. Sans passeport, sa progéniture, pourtant reconnue comme Française, pourrait se voir refuser le retour dans l'Hexagone. Et le certificat de nationalité française (CNF) dont les enfants issus de GPA peuvent bénéficier depuis la circulaire Taubira ? Insuffisant, car cela n'équivaut pas à un passeport, juge ce père qui ne veut prendre "aucun risque".

Si le passeport ressort comme la principale source de problème pour ces familles, c'est que ce document, quand il est fait pour des mineurs, doit contenir… la filiation. Or, pour le moment, la France, malgré la décision européenne, refuse de reconnaître les parents de ces enfants.

Des enfants français par leur père mais officiellement sans père... Si le passeport coince encore, la question de la nationalité des enfants nés de GPA, elle, est désormais tranchée. La circulaire Taubira, parue en 2014, demande de leur octroyer des certificats de nationalité française (CNF). Remise en cause, elle a finalement reçu le soutien du Conseil d'Etat en décembre dernier. Ce dernier a rappelé que : "est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français, tout acte d’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger fait (...), en principe, foi", rapporte-t-il dans sa décision. Une contradiction qui agace Pierre : "c'est grâce à moi que mon fils est français mais on me dit, par ailleurs, qu'il n'y a pas de filiation entre nous. Faudrait qu'on m'explique !".

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© OLEXANDER ZOBIN / AFP

… et sans carte d'identité. Le CNF lui-même n'est pas si simple à obtenir. Pierre a attendu plus de six mois pour que son petit Adrien en bénéficie. "Ils ont tiqué quand ils ont vu deux papas sur l'acte de naissance américain, ils ont voulu louvoyer mais on l'a finalement obtenu après avoir menacé d'attaquer en justice", explique ce parent.

Actuellement, avec son mari, il mène un autre combat pour leur fils : la carte nationale d'identité. Normalement, c'est une formalité une fois le CNF obtenu. En réalité, "le dossier d'Adrien a été envoyé par la préfecture au ministère de l'Intérieur, pour l'instant, on attend mais, si en septembre on a rien, on attaque en justice".

En cas de décès, des enfants lésés.Les enfants GPA sont aussi les oubliés de successions en cas d'accident de la vie. La filiation, n'étant pas reconnue par la France, "les enfants que j'ai eus d'une première union - sans GPA, ndlr - auraient des droits supérieurs en matière d'héritage sur celui issu d'une GPA", rapporte Pierre. Et la circulaire émise par le ministère de la Justice qui demande aux notaires de ne pas faire de différence entre les enfants ? "Ce n'est qu'un pis-aller qui met de l'huile dans les rouages et en cas de contentieux, c'est le Code civil qui l'emporte, les enfants nés de GPA sont donc perdants au final", explique à Europe 1 un juriste, fin connaisseur du dossier.

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'Mais où est la mère?' nous a-t-on demandé à l'école

Un deuxième parent sans existence légale. Le plus gênant, selon Dominique Boren, "c'est qu'il faut tout le temps se justifier et expliquer notre histoire". Stéphan renchérit : "lors de l'inscription de notre fille à la maternelle, on nous a fait des yeux ronds comme des soucoupes, 'mais où est la mère ?' nous a-t-on demandé", rapporte-t-il. Le deuxième père, lui, n'a pas d'existence légale. Tant que la filiation avec le père biologique n'est pas reconnue par la France, le conjoint ne peut en effet lancer de procédure d'adoption.

Et les situations humiliantes peuvent aussi se dérouler dans le monde médical. Aux urgences de hôpital Necker, "devant notre fille en pleine crise d'asthme, le médecin nous a notifiés qu'un seul père avait le droit de rester", raconte Stéphan, qui a refusé avec son mari de se plier à cette injonction et d'attendre un revirement du droit français pour être enfin reconnus comme les autres familles.