Emmanuel Pierrat : "Le principe d'un avocat, c'est quand même d'être un peu sulfureux"

"Toutes les morales et toutes les censures partent d'une bonne intention. La difficulté, ce sont leurs effets", estime Emmanuel Pierrat (photo d'archives).
"Toutes les morales et toutes les censures partent d'une bonne intention. La difficulté, ce sont leurs effets", estime Emmanuel Pierrat (photo d'archives). © AFP
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Invité de l'émission "En balade avec", l'avocat et auteur de nombreux ouvrages a conduit Frédéric Taddei du musée du Barreau de Paris à son bureau du boulevard Raspail, dimanche. 
INTERVIEW

Emmanuel Pierrat ne s'attribue "qu'une seule qualité" : celle de dormir très peu. "Deux à trois heures par nuit, ce qui me laisse beaucoup de temps." Alors, l'avocat mène une vie bien remplie aux quatre coins de Paris, sans jamais beaucoup s'éloigner de sa passion : le droit. Invité de l'émission En Balade avec, dimanche, sur Europe 1, il a permis à Frédéric Taddei de tenter de le suivre quelques heures. 

Plus d'un tour dans son sac. La balade commence dans les caves voûtées de l'Hôtel de la Porte, qui abritent la collection permanente du musée du Barreau de Paris, dont Emmanuel Pierrat est le conservateur. Le conseil se saisit d'un sac et explique : "Jusqu'à la fin du 17ème siècle, lorsque vous vouliez attaquer quelqu'un en justice, vous mettiez dedans les accusations que vous aviez contre lui, quelques pièces, quelques preuves. Vous alliez voir un magistrat, vous lui donniez en disant : voilà ce que j'ai contre, mettons... Frédéric Taddei !"

"Le sac, on ne pouvait pas l'ouvrir. Vous connaissez le proverbe, 'l'affaire est dans le sac'? Il vient de là. L'adversaire savait, par la rumeur de la ville, qu'il y avait un procès. Il glissait des arguments qu'il pensait pertinents. Le magistrat, quand il avait tous les éléments, accrochait le sac sur une patère. Et puis on jugeait, à partir de tout ce qu'il y avait dedans, en disant : 'attention, il a plus d'un tour dans son sac..'". 

Des histoires de "la justice, et la manière dont elle se plaidait", Emmanuel Pierrat en connaît des dizaines. "Ce sac, vous le trouvez aux puces et vous avez l'impression qu'il est dégueulasse, mais en fait... Ce musée renferme beaucoup de trésors, liés aux procès de Marie-Antoinette, de Zola ou de Dreyfus." Il y a là, aussi, des archives du procès de Klaus Barbie, ou d'Omar Raddad. "Il me semble normal de faire de petits clins d’œil et hommages à tous les avocats, quelle qu'ait été leur réputation, sulfureuse ou pas. Mais le principe d'un avocat, c'est quand même d'être un peu sulfureux..."

Un album de Damien Saez. À cent à l'heure, Emmanuel Pierrat prend la direction de la librairie Tschann, dans son quartier parisien de Montparnasse. Car l'avocat est aussi un écrivain au rythme impressionnant - près de 100 ouvrages à seulement 50 ans. Le prochain, Nouvelles morales, nouvelles censures (sortie le 11 octobre, Ed. Gallimard), parle un peu de son métier, mais pas seulement. "Toutes les morales et toutes les censures partent d'une bonne intention", explique-t-il. "La difficulté, ce sont leurs effets." 

"C'est très difficile parce que notre monde contemporain, qui vit à coups de tweets et de posts sur les réseaux sociaux, ne pense pas au second degré, au troisième degré, aux intertitres, aux subtilités...", analyse l'avocat, dont les références ne sont pas toujours là où on les attend. "Il y avait eu un album de Damien Saez, mis en vente il y a quelques années, où il y avait eu une femme sur la pochette qui était dans un caddie de supermarché, comme un objet de consommation. Le disque avait été attaqué tout de suite. Le sous-titre, c'était : 'la femme n'est pas une marchandise'. Mais personne n'avait pris le temps de lire." 

En passant par la célèbre Rotonde, où l'enfant de Pantin qui "rêvait des beaux quartiers", reconnaît déjeuner "au moins une fois par semaine", Emmanuel Pierrat gagne son bureau. Au-dessus, le quinquagénaire a affiché un courrier de Sade. "C'est une lettre d'engueulade à son avocat, qui dit : 'votre profession est la plus nuisible sur terre, vous n'avez servi à rien'", sourit le conseil, qui précise : "Pour mémoire, Sade a été enfermé six fois, et pas seulement pour ses écrits, mais aussi pour des meurtres et des viols. C'est une lettre que j'ai accrochée parce qu'elle me rappelle que quand un client, ça peut arriver, est un peu énervé, je me dis : 'sois tranquille, Sade a du être un bien pire justiciable à traiter'."