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Salomé Legrand , modifié à
Alors que le Grenelle des violences faites aux femmes touche à sa fin, certains professionnels s'alarment du fait que les auteurs des violences ne soient presque pas pris en compte dans les débats. Comment les prendre en charge ? Comment leur parler ? Europe 1 a assisté à un groupe de parole entre hommes condamnés pour violences conjugales.
REPORTAGE

Cris d’alarme cette semaine, dans Le Monde, de certains professionnels au sujet du Grenelle des violences faites aux femmes, qui touche à sa fin lundi. Si les victimes sont bien au cœur des débats, les auteurs de violences, eux, sont les grands absents. Une seule des 60 propositions sur la table les concernent directement. Pourtant, des formes de prise en charge existent déjà. Europe 1 a pu assister à un groupe de parole entre hommes condamnés pour violences conjugales. Reportage.

"Je pense que j’ai été jugé à tort

Ils sont sept, assis en cercle sous les néons de la salle du service d’insertion et probation de Créteil, ce jeudi à la nuit tombée. Six hommes condamnés pour violences conjugales et un animateur, psychologue et psychothérapeute, Alain Legrand, qui accueille un nouveau venu.

"Je pense que j’ai été jugé à tort, même si j’ai toujours été quelqu’un de très impulsif dans la vie, mais jamais envers les femmes", assure celui-ci, Hatem, 29 ans, sorti de deux mois d’incarcération à Fresnes. "Ce qui m’a amené ici, c’est plein de petites embrouilles et un gros mensonge de sa part à elle", poursuit le jeune patron d’une société de transports. Il affirme "avoir brusqué" sa compagne pour avoir la vérité sur pourquoi elle prenait la pilule en cachette, alors qu’ils projetaient d’avoir un troisième enfant.

"Elle a eu un jour d’ITT (interruption temporaire de travail), je l’ai juste repoussée violemment", explique-t-il, encore, tout de suite à l’aise dans le cercle. "C’est un peu pareil", abonde Jim à sa gauche. Déjà dans le groupe de parole depuis un peu plus de deux mois, ce trentenaire, cadre directeur de boutique, condamné en avril dernier à 18 mois de prison dont 6 fermes qu’il a réussi à transformer en jours amende, compare la situation du nouveau-venu à la sienne sur plusieurs points. "Y’a pas eu d’ITT, c’est un truc un peu déplacé comme toi, un truc que je lui ai mis autour du coup, et je l’ai tirée vers moi, pareil, j’ai les mêmes problèmes d’impulsivité que toi", avance-t-il.

Comme lui, il a interdiction de s’approcher du domicile conjugal, et ne voit plus sa petite fille. "Dur de retourner chez ses parents à 29 ans", ponctue Hatem. La conversation glisse de fil en aiguille vers l’éducation. "Très stricte", réclame Hatem pour qui son père est son "idole", mais qui ne voit aucun lien entre ce cadrage dans l’enfance et l’impulsivité qu’il reconnaît volontiers et que même sa pratique du MMA (sport de combat), ne l’a pas aidé à cadrer, "au contraire".

"Ici je ne vise pas tant le déclic que travailler par petites touches", explique Alain Legrand, directeur du centre SOS violences familiales. "Par exemple l’éducation, la fessée, comme si la violence était la seule solution pour revenir à un certain état d’ordre : leur regard peut évoluer sur ça, puis petit à petit faire un tout".

"L’intérêt, c’est de se confronter à des situations plus ou moins semblables"

La distinction entre peur et respect, la réaction face à la découverte d’une infidélité, "les femmes qui font les hommes, qui provoquent", ont été évoqués ce soir-là, avec chaque fois, de petites nuances introduites dans un discours monolithique, où la gravité des faits se mesure en ITT.

"Ça aide", assure Jim. "Le témoignage qui m’a le plus marqué, c’est quelqu’un qui a fait ça, qui a mis un ITT beaucoup plus important, qui n’y était pas du tout allé de main morte, et qui avait l’habitude d’être un petit peu violent avec sa femme. C’est bien d’avoir cet exemple là juste à côté de soi. Ça permet de ne pas faire la même chose. Quand on apprend ce qu’il a eu derrière, on a encore moins envie de faire la même chose", explique Jim, qui a "beaucoup appris sur lui-même" et se sent "moins impulsif" au quotidien.

La participation au groupe est volontaire mais elle fait partie du suivi post sentenciel de ces hommes, qu’ils sortent de prison ou soient dans leur période de sursis. Ils y sont orientés quand le dialogue n’avance plus avec leur conseiller d’insertion et probation, lorsque la prise en charge individuelle s’essouffle et qu’ils sont bloqués dans leurs représentations, ou au contraire lorsqu’ils ont progressé et peuvent devenir des leaders positifs.

"L’intérêt, c’est de se confronter à des gens dans des situations plus ou moins semblables et de pouvoir critiquer, au sens le plus large du mot, le passage à l’acte chez les autres. Et du coup relativiser la façon dont on interprète ce qui se passe à la maison, et mettre à distance les sentiments, les ressentis", décrypte Alain Legrand, qui voit régulièrement des participants en secouer d’autres afin qu’ils sortent du déni.

Un homme "auteur de violences" n'est pas nécessairement un homme violent

Première nuance que le thérapeute introduit et qui fait immédiatement sens pour ce public : celle entre homme violent et homme auteur de violences. Pour les premiers, "la violence est une donnée structurelle, présente en permanence, sous-jacente, elle fait partie de leur vie", souligne le praticien. Les "hommes auteurs de violences", largement majoritaires dans le groupe, sont ceux "qui ont plus de mal à gérer leurs conflits, et qui répondent par la violence". "Pour eux, la relation à l’autre dans le conflit est vécu comme une perte d’amour. C’est vécu comme une violence" initiale à laquelle ils répondent.

"Certains ne reconnaissent pas vraiment leurs torts. Pour eux, il y a une raison d’avoir fait ce qu’ils ont fait", relate Bertrand, cadre de 53 ans, condamné en avril 2018 à 18 mois d’emprisonnement dont 3 avec sursis, pour avoir violenté sa femme qu’il a surprise, dit-il, en train de s’en prendre à son fils d’une première union. "Je sais très bien que si une situation comme celle que j’ai vécu se reproduit, je prends mes affaires et je m’en vais", glisse-t-il. Et de préciser : "Ça parait évident quand on le dit, mais c’est une maturité qu’on acquiert. Moi, je sais que le soir où c’est arrivé, si je prenais mon fils et allais au commissariat, c’est pas moi qui me retrouvais dehors".

La prise en charge dure jusqu’à deux ans, et au fil des semaines certains se surprennent à être moins agressif au quotidien, plus ouverts. Même si le plus important reste de travailler sur leur perception et leur rapport à la femme.