C’est l’une des formes de discrimination les plus méconnues : la discrimination au crédit bancaire. Aucune étude d’ampleur n’a été réalisée sur la question à ce jour. Pourtant, à en croire la mairie de Villeurbanne, près de Lyon, le phénomène existe bel-et-bien. La commune a mandaté l’Observatoire ISM Corum, spécialisé dans la lutte contre les discriminations, pour effectuer des tests dans une douzaine d'agences bancaires de la ville, de BNP Paribas à la Caisse d'épargne en passant par la Société générale et La Banque Postale. Et les résultats sont sans appel : les personnes d'origine maghrébine ou africaine sont souvent discriminées pour l'accès à un prêt immobilier ou un prêt à la création d'entreprise.
>> Mais comment les victimes de ce type de discriminations peuvent-elles réagir ? Eléments de réponse.
À quoi le test a-t-il abouti exactement ?
Le cadre du testing est simple : deux hommes du même âge, avec le même métier et le même revenu, demandent un crédit bancaire pour un motif similaire. Entre eux, une seule différence : l'un est supposé sans "origine migratoire", l'autre est d'origine maghrébine ou africaine. Le test a mis en évidence que le premier est reçu plus longtemps que le second (c'est le cas dans 19 agences sur 28) et, au final, a reçu de meilleures offres. "On va proposer un prêt sur 25 ou 28 ans à l'un, alors qu'à l'autre, qui a la même solvabilité, on lui parlera de 20 ou 25 ans", détaille Éric Cédiey, le directeur d'ISM Corum. "On a aussi des cas où la durée de remboursement proposée est la même aux deux testeurs, mais le taux d'intérêt était inférieur lorsqu'il était proposé à celui qui semble n'avoir aucune origine migratoire". C'était le cas dans six agences sur neuf.
Cette enquête n’a ni la valeur d’un sondage, ni d’une étude sociologique. Mais elle n’en comporte pas moins son lot d’enseignements. "Tout l'intérêt de cette opération de 'testing' est de mieux connaître cette forme de discrimination pour pouvoir mieux la combattre", salue au micro d’Europe 1 Slimane Laoufi, chargé des discriminations dans le secteur privé pour le Défenseur des droits, qui reconnaît le manque d’informations à disposition sur le sujet. "La méthode scientifique adoptée est prouvée si l'on regarde les grandes tendances dégagées de ce ‘testing’. Cela a été fait dans les normes", poursuit-il.
À quel moment y a-t-il discrimination au regard de la loi ?
La loi interdit de refuser un crédit pour simple motif d’une couleur de peau, d’un sexe, d’une religion, d’un lieu de résidence ou d’un quelconque rapprochement à une origine étrangère. Pour refuser un crédit, la banque doit s’appuyer sur des éléments économiques ou juridiques. Un défaut de solvabilité (qui peut être lié à l’âge), une justification douteuse des ressources, une inscription sur une liste de terroristes, ou l’appartenance à un pays sous le coup d’un embargo sont des motifs valables. Après un long débat, le Conseil d’Etat a, en 2001, autorisé les banques à refuser un crédit à un demandeur de nationalité étrangère. Mais sûrement pas à un emprunteur français, peu importe ses origines.
Comment peut-on prouver qu’il y a discrimination ?
Le banquier n’a pas à motiver la décision de son refus de crédit… en tout cas devant le client. Devant le tribunal ou une autorité administrative, il doit en revanche être en mesure de le faire. Ce n’est donc pas l’emprunteur qui doit prouver qu’il a été discriminé. Celui-ci peut saisir directement la justice, ou contacter le Défenseur des droits, institution indépendante des instances judiciaires ou des autorités publiques. Contrairement au client, ce dernier est autorisé à mener des investigations directement auprès des banques. Il peut demander aux établissements de fournir les critères précis du refus, examiner plus largement la politique de la banque en matière de crédit, comparer les dossiers précédents avec celui du plaignant etc.
Et s’il avère que le plaignant a reçu un traitement différent des autres clients sans raison valable, le Défenseur des droits dispose d’un large éventail d’action : demander le versement d'une amende, l’indemnisation de la victime, publier les faits dans la presse pour dénoncer la banque etc. En cas d'accord, la transaction doit être validée par le procureur de la République. Sinon, le Défenseur des droits peut saisir la justice.
Nous allons opérer un suivi. Il va falloir qu'on nous rende compte de ce qui aura été fait
Dans le cas de Villeurbanne, comme il n’y a pas de réelle "victime", il va enquêter sur les pratiques de banques, demander des formations du personnel et la constitution d’un code de déontologie. "Nous allons opérer un suivi. Il va falloir qu'on nous rende compte de ce qui aura été fait. Et nous disposons d'un pouvoir' de sanctions, assure Slimane Laoufi.
Le client lésé, lui, n’a que peu de marges de manœuvre. Il doit, évidemment, rassembler le plus de preuves possibles pour montrer que son dossier ne méritait pas un refus : bulletins de salaires, situation fiscale, compte(s) en banque, pièce d’identité, éventuelles échéances de remboursement de prêt etc. Autant de documents qui pourront être utiles au Défenseur des droits ou à la justice. S’il a noté la date et l’heure du rendez-vous avec le banquier, c’est un plus.
Il peut également demander "le score" de son dossier, c’est-à-dire la note globale que lui a décernée la banque. Mais celle-ci n’est pas tenue de lui donner les raisons qui l’ont poussée à lui donner cette note. Enfin, le client peut saisir la CNIL, la Commission nationale informatique et liberté, pour obtenir l’ensemble des informations dont la banque dispose sur lui. La CNIL ne peut en aucun cas demander à la banque d’expliquer laquelle de ces informations a motivé le refus. Mais cela peut permettre au client de montrer que rien, dans les éléments dont disposait la banque, ne le justifiait.
Pour plus d’informations, le client peut se rendre dans la Maison du droit et de la justice de sa ville, dont l’adresse peut être trouvée par ici.