hommage attentats de Paris, Bataclan crédit : BERTRAND GUAY / AFP - 1280 6:44
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Salomé Legrand, édité par Marthe Ronteix , modifié à
Jérôme Lesne-Ménard, greffier auprès du parquet antiterroriste, raconte au micro d'Europe 1 comment il a retranscrit pour la justice les histoires des victimes des attentats du 13-novembre et de Nice et celles de leurs proches.
TÉMOIGNAGE

En cette journée nationale d’hommage aux victimes de terrorisme, Europe 1 a rencontré Jérôme Lesne-Ménard, le greffier qui a traité les attentats du 13 novembre 2015 (129 morts et plus de 350 blessés) et de la promenade des Anglais de Nice en 2016 (89 morts et plus de 400 blessés).

Pour la première fois, il raconte comment il a géré les demandes des victimes, les pièces de dossiers douloureuses à lire ou encore le contact avec les victimes et leurs proches. Il avait pour mission de traiter les victimes de la manière la plus humaine possible. Un travail auquel il repense toujours aujourd'hui.

Un travail de reconstitution dans l'émotion

Un greffier pour rendre compte des événements. Le greffier est le partenaire du juge, une sorte d'assistant qui constitue les dossiers, rédige les actes. Après le 13-Novembre, la justice s’est rendue compte qu'il y avait un tel nombre de victimes qu'il faudrait leur consacrer un greffier pour enregistrer tout ce qui les concerne. Jérôme Lesne-Ménard a donc vu toutes les photos, lu tous les rapports d’autopsie, toutes les auditions des victimes. Il s'est même rendu sur place pour bien se figurer les lieux du drame et mieux comprendre les confidences des victimes.

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Des récits "terribles". "Je savais ce qui m'attendait", confie le greffier au micro d'Europe 1. "Il y a effectivement des récits qui sont terribles, parce que les personnes vous les racontent comme elles les ont vécues. On est obligé de se protéger. Mais il y a quand même des choses qui passent à travers les carapaces. Quand on raccroche et qu'on part du bureau, on a encore ces récits en tête. Le but est quand même d'essayer de passer à autre chose, d'une manière ou d'une autre, parce qu'il faut se dire que demain, il y aura d'autres récits et aussi d'autres auditions à lire. Et elles sont toutes, à un niveau ou à un autre, marquantes."

Entendu sur europe1 :
Tous ces témoignages-là sont bouleversants et j'ai toujours ces messages en tête

Celles qui ont le plus marqué le greffier sont les auditions dans lesquelles les victimes racontent avoir été présentes avec un proche ou être allées à plusieurs au Bataclan, sur les terrasses ou sur la promenade des Anglais et ne pas être reparties avec tout le monde. Ou encore les auditions de "ceux qui ont été autorisés à rester auprès de leur bien-aimé décédé pendant la durée nécessaire avant que le corps ne soit enlevé par les services de police et autres. Tous ces témoignages-là sont bouleversants et j'ai toujours ces messages en tête."

Face à ces récits, comment gérer l'émotion qui, aujourd'hui encore, peut submerger l'homme au delà du greffier ? "Il y a une très grande solidarité entre collègues et avec les magistrats", confie Jérôme Lesne-Ménard. "Il y a toujours un moment où on pouvait en parler parce que nous étions tous, à un degré ou à un autre, dans ces dossiers."

Un travail en direct avec les victimes ou leurs proches

Une adresse mail et une ligne téléphonique dédiées. Que ce soit à la suite des attentats du 13-Novembre ou de celui de Nice, les parties civiles sont plusieurs milliers. Pour l'aider à traiter toutes ces informations, Jérôme Lesne-Ménard était assisté d'une adjointe. Ils ont créé une boîte mail dédiée et une ligne de téléphone directe pour lesquelles il a établi des règles strictes.

"J'ai fait précisément ce que j'aimerais qu'on me fasse", explique le greffier. "Je ne raccrochais jamais en premier parce que je trouvais que c'était à la victime de considérer que c'était le moment opportun où elle avait épuisé son sujet. Tous les courriers ont été personnalisés et les demandes de pièces ont été faites au cas par cas, en fonction de la situation. C'est important parce que chaque personne n'a pas subi le même traumatisme. On ne peut pas demander les mêmes pièces à une personne impliquée qu'à une autre qui a perdu un proche."

Et s'il se retrouvait face à une situation confuse, il préférait téléphoner directement à la personne concernée. "Cela a permis de solutionner beaucoup de difficultés", reconnaît-il, avant de donner un exemple. "J'ai en tête le cas d'une dame qui a perdu son partenaire et qui n'était pas sur les lieux de l'attentat avec lui. Elle est en union libre donc elle n'a aucun document administratif à la même adresse. Or au téléphone, j'étais persuadé que c'était effectivement un couple. Et en réfléchissant, lui est venu à l'esprit que quelques semaines auparavant, un compromis d'achat avait été signé pour un bien immobilier où il y avait les deux noms. Ce document à lui seul a suffi pour qu'elle puisse être partie civile dans ce dossier. J'ai une facture de bijouterie parce qu'une bague de fiançailles avait été offerte un peu avant. Tous ces éléments-là ne peuvent pas être dans un courrier-type. C'est grâce à l'échange téléphonique en direct qu'on arrive à ce résultat."

Les photos, un moment particulièrement difficile. Jérôme Lesne-Ménard a donc fait le lien direct entre la justice et les victimes, mais il a aussi constitué un filtre pour écarter des gens qui auraient aimé être reconnus comme tel mais qui, du point de vue judiciaire, avaient un lien trop lointain avec les attentats. Pour lui, c’est un poste où il faut être à la fois juriste, assistant social et psychologue. Il a aussi parfois dû faire preuve de tact face aux proches qui voulaient voir les photos.

Entendu sur europe1 :
La personne veut voir les photos, elle les voit. Ça ne suscite que du silence

"Quand je me heurtais à une personne qui ne voulait pas entendre parler d'avocat, je me permettais de lui indiquer qu'il fallait vraiment réfléchir parce que certaines photos étaient difficiles à voir et qu'il était peut-être bien de garder une image de son bien-aimé avant. Je pense que certains ont entendu. Je sais aussi que certains n'ont pas entendu, comme le père d'une victime du Bataclan. Dans ce cas, c'est un moment très difficile, très silencieux. La personne veut voir les photos, elle les voit. Ça ne suscite que du silence. Je ne pense pas qu'on puisse oublier un jour cette fonction très particulière. J'ai juste fait mon travail avec le plus d'humanité possible."

Des liens qui se créent

Tous ceux à qui Europe 1 a demandé les autorisations d’interview ont salué un travail remarquable et un dévouement exceptionnel. Et un tel investissement a créé des liens. "Certaines personnes m'appelaient plusieurs fois par semaine", détaille Jérôme Lesne-Ménard. "Il y en a parfois d'autres qui m'envoyaient des mails pour me suggérer la lecture d'un article. Là, on voit bien que ça dépasse mon rôle. Mais les articles qu'on m'envoyait, je les lisais et je leur disais merci." Aujourd'hui, Jérôme Lesne-Ménard a changé de poste mais il s’occupe encore de victimes, et retrouve certaines d'entre elles dans leur parcours, heureuses de retomber sur lui.