Après la prison ou l'hôpital psychiatrique, la rue ?

De nombreuses personnes mal ou pas logées sortent d'institutions comme la prison, l'hôpital psychiatrique ou les foyers pour enfants placés.
De nombreuses personnes mal ou pas logées sortent d'institutions comme la prison, l'hôpital psychiatrique ou les foyers pour enfants placés. © AFP
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Dans son rapport 2019 publié vendredi, la Fondation Abbé Pierre attire l'attention sur les ex-détenus, les anciens enfants placés et les personnes qui sortent d'hôpital psychiatrique, très vulnérables. Abandonnés de l'État, ils représentent le tiers des SDF.

Qu'y a-t-il de commun entre les ex-détenus, les enfants placés en foyer ayant atteint 21 ans et les personnes prises en charge dans les hôpitaux psychiatriques qui finissent par en partir ? A priori, pas grand-chose, tant ces trois situations laissent deviner des parcours uniques et tortueux. Pourtant, la Fondation Abbé Pierre, qui publie vendredi son 24e rapport annuel, a identifié une similarité. Dans tous les cas, ces hommes et ces femmes qui sortent d'une institution sont plus touchés par le mal-logement et plus susceptibles que les autres de finir à la rue.

Les chiffres sont édifiants. Parmi les personnes sans domicile nées en France, 26% sont d'anciens "enfants placés en protection de l'enfance", soit plus de 10.000 personnes. Et ce, alors que ce public ne représente que 2 à 3% de la population générale. Dans une enquête de l'Insee réalisée en 2012, 7.000 personnes déclaraient avoir perdu leur logement suite à une hospitalisation, une incarcération ou d'autres raisons. L'enquête nationale des maraudes des Samu sociaux a en outre révélé que deux personnes sans-abri sur cinq souffrent de troubles psychiatriques. C'est même une sur trois en Île-de-France.

" Une sortie non préparée, ou qui n'est pas accompagnée dans le temps, peut rapidement conduire à la rue ou à l'hébergement d'urgence. "

Et "ces chiffres ne rendent que partiellement compte de l'ampleur du problème", souligne le rapport de la Fondation Abbé Pierre, "puisqu'ils ne tiennent pas compte d'autres formes de mal-logement" comme les squats, les habitats indignes ou le fait de vivre chez une tierce personne.

L'enfer des sorties sèches

Comment l'expliquer ? La Fondation Abbé Pierre souligne que dans tous les cas, l'aboutissement de ces parcours très différents est celui d'une sortie "sèche". Quelle que soit l'institution concernée, de la prison au foyer en passant par l'hôpital psychiatrique, elle génère "des ruptures fortes pour les personnes". "Une sortie non préparée, ou qui n'est pas accompagnée dans le temps, peut rapidement conduire à la rue ou à l'hébergement d'urgence", note le rapport.

"À l'ASE, ils s'occupent d'abord du travail". C'est ce qui est arrivé à Alexandre, 23 ans, cité par la Fondation Abbé Pierre. Après 21 ans en famille d'accueil, le jeune homme, pourtant titulaire d'un BEP sanitaire et social, s'est retrouvé à la rue. "À l'Aide sociale à l'enfance (ASE), ils ont essayé de faire une chose par une chose : d'abord [s'occuper de trouver] un travail, puis le logement. Mais du coup, quand ça bloque on se retrouve sans rien." Alexandre enchaîne les petits boulots, ce qui ne lui permet pas de s'installer en foyer de jeune travailleur, et n'a pas de garant pour prendre un autre logement. Depuis un an et demi, il dort donc dans divers lieux de Paris, à l'intérieur du Forum des Halles ou dans un parking à La Défense.

" Aujourd'hui il y a des sorties sèches, comme moi : je sors et puis je n'ai rien. Cela fait deux mois que je galère. "

"Je sors de prison et puis je n'ai rien". Aurélien, lui, est sorti de prison il y a deux mois. "On est perdus", témoigne-t-il au micro d'Europe 1. "Aujourd'hui il y a des sorties sèches, comme moi : je sors et puis je n'ai rien. J'ai fait des démarches auprès des bailleurs et de la prison, mais ça n'a pas abouti. Cela fait deux mois que je galère." Les chiffres de l'administration pénitentiaire sur la période 2015-2017 montrent que 6% des personnes sortant de prison n'ont pas de solution pour se loger, et 16% n'ont qu'une solution précaire. Jérôme, 23 ans, a fait huit mois en maison d'arrêt. À sa sortie, il a trouvé des dettes locatives à régler, mais plus d'appartement. "Au départ, personne n'avait prévenu le bailleur", raconte-t-il. "C'est seulement au bout du deuxième mois qu'on leur a dit que 'le jeune homme avait été embarqué par la gendarmerie' et qu'ils ont coupé le bail." Avant de pouvoir faire une demande de logement, Jérôme doit donc payer ces deux mois. "J'étais à la rue, j'ai dormi dans ma voiture pendant quatre mois et demi."

"On ne sait plus où adresser les personnes à l'extérieur". Dans le cas des hospitalisations pour problèmes psychiatriques, la situation est souvent complexe car les allers-retours entre une structure de soin et le dehors sont fréquents, suivant les phases de crise et de rémission. "Certaines personnes sont là depuis 20-30 ans, d'autres hospitalisées à la suite d'une urgence, mais ensuite on ne sait plus où les adresser à l'extérieur", témoigne un responsable d'établissement psychiatrique dans le rapport de la Fondation Abbé Pierre. "Cela peut être une maison de retraite qui ne veut plus récupérer la personne. Ou une famille qui, une fois que la personne est hospitalisée, ne veut plus revenir en arrière." Faute de soutien, les malades peinent à trouver un logement à leur sortie.

Des publics déjà fragiles

Un deuxième facteur explique la surreprésentation des personnes sorties d'institutions chez les mal-logés : la fragilité de ce public. "Ce sont des [gens] qui rencontrent des freins particuliers", rappelle ainsi le rapport de la Fondation Abbé Pierre. Pour les jeunes sortis de l'ASE, des difficultés sont liées "à leur enfance et à leur histoire familiales" et peuvent avoir été aggravées "par le placement ou la sortie du placement".

" Ils nous placent à l'hôpital mais ne trouvent pas de solution après. Je suis resté comme ça, un certain temps à la rue. "

Précarité et troubles psychiques. Les personnes hospitalisées pour des troubles mentaux, elles, sont généralement précaires. "Le lien entre trouble psychique et exclusion sociale est aujourd'hui bien établi", rappelle la Fondation Abbé Pierre. "Soit le mal-logement et la précarité causent des troubles psychiques, soit ces derniers remettent en cause l'accès et le maintien dans le logement." Robert, 46 ans et schizophrène, témoigne dans le rapport de ses perpétuels allers-retours entre des hôpitaux et la rue, ou des logements précaires. "Ils nous placent à l'hôpital mais ne trouvent pas de solution après", explique-t-il. Lui-même reconnaît qu'il n'aurait pas pu trouver un logement. "Je suis resté comme ça, un certain temps à la rue. On me disait que je n'étais pas capable d'en avoir un. C'était un peu vrai parce que j'en avais brûlé un." Finalement, une solution a été trouvée dans une pension de famille.

60% des détenus sont précaires. Quant aux détenus, "le passage en prison les fragilise", estime la Fondation. "Il peut même être à l'origine d'une rupture totale, à la fois sociale, professionnelle, résidentielle et économique." Et ce, alors que les personnes incarcérées sont déjà défavorisées avant : 60% d'entre eux sont "en situation de précarité socio-économique durable à l'entrée en détention", selon une étude de 2012.

Des recommandations pour pallier les problèmes

Forte de ces constats, la Fondation Abbé Pierre formule aussi des recommandations pour que la question du logement devienne prioritaire à la sortie des institutions. Selon les auteurs du rapport, il faut en finir avec l'accumulation des pré-requis pour avoir droit à un toit. Une logique du "Logement d'abord" qui consiste à fournir un habitat "sans conditions, de manière stable et durable", écrivent-ils.

 

Une approche préventive. Ce qui repose sur une approche préventive avant tout. Chaque institution doit "mieux connaître les parcours et les aspirations des sortants d'institutions" afin de leur faire des propositions adaptées. Par exemple, il convient pour les travailleurs sociaux de prendre en compte la présence de troubles psychiatriques, ou une interdiction de territoire pour un détenu en aménagement de peine. La Fondation Abbé Pierre insiste également sur la nécessité de remplir les démarches administratives de demande de logement social avant toute sortie d'institution. Une recommandation qui vaut aussi pour les demandes de minima sociaux, notamment le RSA, l'obtention d'une pièce d'identité, etc.

Éviter les sorties "sèches". Pour éviter les sorties "sèches", souvent à l'origine du mal-logement, la Fondation Abbé Pierre veut "promouvoir des transitions vers le droit commun". Pour les enfants placés par exemple, il convient selon elle de mettre un "droit de suite" lorsque les jeunes majeurs sortent des dispositifs prévus par l'ASE, d'autant que le RSA n'est pas accessible avant l'âge de 25 ans. Pour les détenus, cela doit se traduire, estime la Fondation, par la généralisation des aménagements de peine. Quant aux personnes souffrant de problèmes psychiques, le rapport préconise de mieux combiner soin et logement, en réservant l'hospitalisation aux crises aigües.