À la prison des Baumettes, des détenus derrière les fourneaux d'un restaurant haut de gamme

À la prison des Beaumettes, des détenus s'activent en cuisine.
À la prison des Beaumettes, des détenus s'activent en cuisine. © Chloé Gaillard
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Stéphane Burgatt , modifié à
Un projet unique de réinsertion par le travail vient d'ouvrir à la prison des Baumettes de Marseille. Au total, 13 détenus volontaires s'activent derrière les fourneaux d'un restaurant haut de gamme situé à l'intérieur de l'établissement. Europe 1 s'est rendue dans les coulisses de ce projet inédit.

L'entrée se fait par un grand portail en fer. Un sas où les clients laissent argent liquide et téléphone portable avant de passer un portique de sécurité. Une fois dans la salle des "Beaux mets", on oublie tout de l'univers carcéral. "Les cellules sont juste là", montre un détenu affecté aux cuisines de ce restaurant pas comme les autres. "Jamais bien loin mais pourtant, on les oublie une fois qu'on prend notre poste et qu'on est lancés."

Comme ce jeune homme, ils sont 13 volontaires pour ce projet de réinsertion unique en France dans la prison des Baumettes, à Marseille. Leur profil a été étudié et ils ont pour point commun de n'avoir qu'entre quatre mois et deux ans de reliquat de peine. Le projet est inspiré d'expériences menée au centre carcéral de Brixton en Angleterre, ou encore en Italie.

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Les détenus volontaires s'activent en cuisine.
Crédits : Chloé Gaillard

"... Plutôt que de glander en cellule"

Il est porté par l'administration pénitentiaire française et l'association Festin, dont le directeur regarde les premiers services avec un regard ému. "On est très fier. Cela fait depuis 2017 que le projet a germé. Ça a pris du temps. C'est difficile de créer quelque chose qui n'existe pas. C'est un projet qui fait rentrer du public à l'intérieur d'une prison, à la base ce n'est pas fait pour", rembobine Armand Hurault auprès d'Europe 1.

Chemise blanche et tablier noir impeccables, Europe 1 suit les premiers pas d'un autre détenu libérable en 2023. Bavard, la gouaille et grand fan du footballeur brésilien Kaká, ce trentenaire affiche une sérénité déconcertante. Ses expériences passées ? "Zéro", répond-t-il. Il a fallu tout apprendre du début. "Les ustensiles, le service à la française, à l'anglaise, à la russe... J'ai tout appris en quelques semaines. J'ai déjà un métier mais ça me rajoute une corde à mon arc le jour de ma sortie", analyse-t-il, "et puis surtout, je me remets dans le rythme du travail plutôt que de rester glander en cellule."

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Le restaurant des "Beaux mets".

Des palace monégasques à la prison des Baumettes

Ces novices ne sont pas livrés à eux-mêmes. Il y a le maître d'hôtel, Marc Balthazar, qui est le garant des exigences. "Attention, ici, nous ne sommes pas à la cantine. Nous sommes dans un bistronomique avec la qualité d'un semi-gastro", souligne-t-il à Europe 1. La cinquantaine, il a senti le besoin "de sortir de sa zone du confort" et prendre un poste "pour faire quelque chose pour les autres."

Il est très heureux de sa nouvelle brigade, inexpérimentée certes, mais volontaire. "Ce qui est génial ici, c'est qu'ils ne vont pas sortir faire la fête la veille et arriver en retard à la prise de service", plaisante-t-il. Un projet qu'il prend très au sérieux : "On n'est pas là pour s'amuser, leur apprendre le métier et ensuite leur dire au revoir. On pense à leur sortie et on leur trouvera du travail s'ils le souhaitent."

En cuisine, ça s'agite. Des palaces monégasques et des cuisines du chef étoilé Marc Passédat à la maison d'arrêt des Baumettes, Sandrine Sollier a fait un pari, mais son exigence reste la même. À la carte, trois entrées, trois plats (poisson, viande ou végétarien). Crumble d'agneau ou monochrome de légume, la cuisine est fine.

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La cheffe Sandrine Sollier apprend la cuisine aux détenus.

Méticulosité et patience

Cela n'a pas toujours été facile de les enseigner. "Le carpaccio, par exemple, demande énormément de finesse et de temps. Certains détenus ont eu du mal à se concentrer", raconte la cheffe. "Mais au fur et à mesure, ils y sont arrivés et c'est une victoire pour eux comme pour nous", se réjouit-elle.

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Les plats à la carte.

Une autre façon d'aborder la détention et la réinsertion. "Ce doit être un temps utile. La prison doit être assumée par la société pour que ça ne soit pas un temps mort mais un temps de reconstruction, y compris professionnel", estime Laurent Ridel, directeur de l'administration pénitentiaire.

L'effet de curiosité est là. Les réservations sont pleines pour les prochains jours. Les clients devront s'enregistrer quatre jours auparavant, le temps d'un contrôle du casier judiciaire. La sécurité n'est pas exempte des "Beaux Mets". Des surveillants encadrent discrètement le service mais avec un protocole implacable puisque par exemple, tous les ustensiles tels que les couteaux sont comptés en début et fin de service.