Une entreprise qui va bien a-t-elle le droit de licencier ?

Certaines entreprises réduisent leurs effectifs pour faire monter leurs cours de bourse.
Certaines entreprises réduisent leurs effectifs pour faire monter leurs cours de bourse. © MAX PPP
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avec Olivier Samain , modifié à
ENQUETE - La Cour de cassation rendra en avril un arrêt qui inquiète déjà les DRH.

Une entreprise qui licencie sans raison économique valable devra-t-elle désormais réintégrer les salariés qu'elle a mis dehors ? Dans le droit, aujourd'hui ce n'est pas possible. Mais la Cour de cassation va rendre un arrêt qui changer la donne. La décision attendue mardi sera finalement dévoilée le 11 avril. Certains chefs d'entreprises et leur direction des ressources humaines sont d'ores et déjà inquiets.

A l'origine de ce débat : le plan de licenciement collectif annoncé il y a deux ans par la direction de Vivéo, une société spécialisée dans les logiciels bancaires. Ce plan de 64 suppressions d'emplois avait été contesté par les élus du comité d'entreprise en raison de l'absence, selon eux, de véritable motif économique. L'entreprise se portait bien. Elle venait simplement d'être rachetée par un concurrent qui, aussitôt après avoir récupéré le portefeuille de clients, avait décidé de se séparer d'une partie des équipes. Le nouveau propriétaire considérait que l'entreprise pouvait faire le travail avec ses effectifs propres.

Les juges, en première instance, avaient donné tort aux élus du comité d'entreprise. Mais la cour d'appel de Paris est allée dans le sens opposé : elle a considéré que le plan social de la direction n'avait aucune raison économique valable et l'a annulé.

Jusqu'alors, la justice n'annulait pas

Le fait que des juges puissent annuler un plan social est une nouveauté. Jusque-là, quand ils constataient qu'un plan de suppression d'emplois n'avait pas de justification économique, la seule option, une fois les licenciements prononcés, était de condamner l'employeur à indemniser les salariés pour le préjudice subi. Mais ils ne pouvaient pas annuler le plan social et ordonner dans la foulée la réintégration des salariés dans l'entreprise.

La Cour de cassation pourrait aller dans ce sens et confirmer la décision de la cour d'appel de Paris. Les avocats qui défendent les salariés dans ce type de dossiers fondent de grands espoirs dans la décision. "Qu'est-ce qui est préférable pour des salariés qui ont été licenciés de manière abusive ? Est-ce qu'il est préférable de percevoir des dommages et intérêts au bout de trois ou quatre ans de procédure, ou est-ce qu'il est préférable de rester dans l'entreprise en conservant son emploi ?", s'interroge Me Hervé Tourniquet, du barreau de Nanterre, au micro d'Europe 1.

"Normal d'acheter le droit de licencier abusivement ?" : 

Selon lui, deux solutions s'offrent aux entreprises : "soit on accepte que le licenciement abusif a un coût provisionné dans les comptes des entreprises, soit on revient à un droit protecteur. S'il n'y a pas de motifs, il n'y pas lieu d'avoir un plan social", affirme Me Hervé Tourniquet.

"S'adapter à leur environnement concurrentiel"

En toile de fond, s'inscrit le débat sur les licenciements boursiers. En effet, certaines entreprises réduisent leurs effectifs, non pas parce qu'elles doivent faire face à des difficultés économiques, mais parce qu'elles veulent faire monter leurs cours de Bourse. Mais les avocats qui défendent les entreprises réfutent cette présentation, qu'ils jugent caricaturale.

"Si on réintègre les salariés, les employeurs, qui ont des difficultés économiques, vont voir leurs difficultés se creuser encore plus jusqu'à qu'elles ne puissent plus rien faire d'autre que de déposer le bilan, explique Me Etienne Pujol au micro d'Europe 1. Il fait partie d'Avocial, un réseau qui regroupe 350 avocats dans toute la France, spécialisé dans le conseil aux entreprises. "Si vous empêchez les entreprises de s'adapter à leur environnement concurrentiel en empêchant de licencier, elles auront encore plus de mal à recruter par la suite", ajoute-t-il.

Les avocats du réseau Avocial sont inquiets de la décision que pourrait prendre la Cour de cassation. Dans une lettre ouverte à tous les candidats à l'élection présidentielle, ils affirment qu'une telle évolution nuirait à l'attractivité économique de la France et à sa capacité à retenir ou créer des emplois.