Un code de la laïcité serait "utile"

Les représentants des religions ont cité le rapport Machelon dans une tribune du 29 mars
Les représentants des religions ont cité le rapport Machelon dans une tribune du 29 mars © MAXPPP
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Assiya Hamza , modifié à
INTERVIEW – Jean-Pierre Machelon est l’auteur d'un rapport sur les relations juridiques des cultes avec les pouvoirs publics commandé par Nicolas Sarkozy en 2006.

A quelques heures de l’ouverture du débat UMP sur la laïcité, Europe1.fr revient sur les préconisations du rapport sur Les relations des cultes avec les pouvoirs publicscommandé en octobre 2005 par le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy. Dans leur tribune du 29 mars, les représentants des six grandes religions de France y faisaient référence. Six ans après, que reste-il du rapport de Jean-Pierre Machelon, aujourd'hui doyen de la faculté de droit de l'université Paris-Descartes ?

Europe1.fr : quelle était l'une des principales propositions de votre rapport en 2006 ?

Jean-Pierre Machelon : "La commission a proposé d’amender deux dispositions du code général des collectivités territoriales afin que le maire puisse tenir compte des convictions religieuses exprimées par les demandeurs. Le principe de la neutralité des cimetières n'interdit pas aux maires de prendre acte de la volonté de certains défunts israélites ou musulmans d'être enterrés aux côtés de leurs coreligionnaires. Le regroupement de fait des sépultures n'est pas interdit par la loi mais il n'est non plus inscrit dans la loi. L'idée était donc que la dimension religieuse des rites funéraires cesse d’être ignorée de l’autorité administrative mais la liberté d’appréciation du maire et le principe de neutralité des cimetières restent intacts.

Europe1.fr : faut-il réformer la loi de 1905 ?

Jean-Pierre Machelon : "Je ne crois pas qu’il faille toucher aux grands équilibres de notre droit des cultes, fixés par les deux premiers articles de la loi de 1905. A ma connaissance d'ailleurs, personne n’y songe. La législation applicable aux religions constitue un ensemble extrêmement complexe dont la loi de 1905 n’est qu’un élément. La loi de 1905 qui comportait 44 articles, n’a jamais été appliquée dans toutes ses dispositions. Elle a été modifiée à 13 reprises depuis sa promulgation. Elle n’a jamais empêché les adaptations indispensables ou nécessaires. Depuis plus d’un siècle, les sources du droit des cultes n’ont cessé de s’empiler de manière disparate. La dernière compilation disponible en librairie couvre près de 2.000 pages. Faute de mise à jour, les textes sont souvent contradictoires. Ils sont parfois isolés ou bien figurent dans plusieurs codes. Je ne vois pas pourquoi il faudrait s’abstenir de réformer ce qui ne correspond plus à la société actuelle. Sur un sujet pareil, il faut bien sûr le faire avec tact et mesure et dans le respect des grands équilibres".

Europe1.fr : faut-il codifier la laïcité ?

Jean-Pierre Machelon : "Dans certains pays, comme la Belgique, il y a un code du droit des cultes. On pourrait imaginer un code de l’exercice public des cultes, peu importe le nom. Ce qu’il faut c’est le faire avec beaucoup de soin, en mettant en priorité le droit applicable aux associations cultuelles.

La laïcité n’est pas un dogme dont l’alpha et l’oméga seraient fixés de façon définitive. C’est un principe constitutionnel depuis 1946, mais qui n’est défini nulle part et dont le contenu est à rechercher dans des textes multiples et diversement interprétés. Il faut respecter trois grands principes. La neutralité de l’Etat et des services publics est fondamentale. Les religions n’exercent aucun pouvoir politique, l’Etat n’exerce aucun pouvoir religieux.

Le deuxième principe, c’est la liberté de conscience (liberté de croire ou de ne pas croire) et la liberté de religion dont la liberté des cultes est un prolongement. Elle est inscrite dans notre droit depuis la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le troisième principe, c’est l’égal traitement de toutes les croyances et de tous les cultes. Ce n’est pas forcément facile. Mais la transformation du paysage religieux rend cette tâche urgente.

Le cadre législatif existant doit respecter ces trois exigences en permettant la conciliation de la liberté religieuse et de l’ordre public. Il y a certainement des améliorations à apporter".

Europe1.fr : le débat sur la laïcité qui s’ouvre mardi à l’UMP est-il utile ?

Jean-Pierre Machelon : "Un débat l’est toujours.Il a des problèmes récemment apparus qui ne nécessitent pas un bouleversement législatif comme la formation des imams, la mixité dans les piscines ou la nourriture confessionnelle dans les cantines scolaires. Il suffit d’appliquer les textes existants. En revanche, dans d’autres cas il faut des clarifications législatives. L’affaire de la crèche baby loup, par exemple, illustre les incertitudes juridiques concernant le port de signes religieux ostentatoires dans les entreprises délégataires de service public. Chaque fois que nécessaire, il est bon et sain d’adapter les solutions juridiques à l’évolution de la société pour que puissent perdurer les grands principes".