Toulouse renonce à l'expo sur le "Projet Crocodile"

© LE LOMBARD/THOMAS MATHIEU
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A l'occasion de la journée mondiale sur les violences faites aux femmes, la mairie avait prévu une série d'événements. Elle a finalement renoncé à exposer les planches d'une bande dessinée contre le sexisme ordinaire.

Des hommes aux apparences de crocodiles qui harcèlent des femmes. Lorsqu'il lance son "Projet Crocodile" en juin 2013, Thomas Mathieu entend mettre en lumière une autre réalité des violences faites aux femmes : celles du quotidien, infligées par des inconnus, des amis, voire par son conjoint. A l'époque, son projet s'inscrit dans un débat plus large sur le harcèlement de rue. Le Tumblr "Paye ta Schnek" voit en effet le jour et le site "Je connais un violeur" est lancé. Ces projets ont-ils permis depuis une prise de conscience ? Au vu de la récente polémique autour des dessins de Thomas Mathieu, force est de constater qu'il reste encore du chemin à parcourir. La mairie de Toulouse a en effet renoncé au dernier moment à exposer les planches de la BD dans le square Charles de Gaulle. Les élus de la majorité UMP évoquent notamment la "vulgarité" des dessins, inadaptés au public jeune susceptible de les voir. Un argument qui suscite la grogne des féministes et des élus de l'opposition.

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Sollicité par la mairie… L'histoire commence il y a deux mois. La mission Égalité de la mairie de Toulouse réfléchit à un projet à l'occasion de la journée mondiale contre les violences faites aux femmes, prévues le 25 novembre. L'idée est d'organiser différents événements devant se dérouler en plein air, square Charles-de-Gaulle, à deux pas de la place du Capitole. Julie Escudier, l'élue UMP en charge de cette mission reçoit alors une vingtaine de projets, dont celui de Thomas Mathieu.

Ce dernier n'a pourtant pas sollicité la municipalité de Toulouse pour participer au projet. Les services municipaux lui ont simplement demandé d'envoyer les fichiers numériques de quinze pages, choisies par leur soin. Quelques semaines plus tard, le projet passe devant la Commission de cohésion sociale, et un devis est établi.

L'une des planches du Projet crocodile qui a suscité la polémique auprès des élus toulousains

© LE LOMBARD/THOMAS MATHIEU

… Qui finalement renonce au projet. Mais, à la suite d'un nouveau passage devant la commission Cohésion sociale de Toulouse Métropole, le projet est définitivement enterré. Lors de cette réunion, quelques voix se sont opposées à ce projet, notamment celle de Laurence Katzenmayer, une élue UMP. Cette dernière a dénoncé le caractère "provocateur et parfois vulgaire" de certains dessins. Des propos soutenus mardi par Julie Escudier, l'élue chargée de mettre sur pied le projet de la ville de Toulouse, interrogée par France 3 Midi-Pyrénées. Selon elle, les dessins de Thomas Mathieu, montrent "de la violence plutôt que de la combattre auprès des enfants et des adolescents."

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Agression homophobe et viol conjugal. Les deux dessins qui cristallisent les tensions relatent pourtant des histoires vécues par de nombreuses femmes. Pour réaliser ses planches, le dessinateur se base en effet sur des témoignages de femmes reçus par mail, ou sur sa page Facebook. Pour mieux souligner le côté "prédateur" des hommes dont il raconte l'histoire, Thomas Mathieu les a remplacés par des crocodiles, colorés en vert, seule couleur présente dans ses dessins.

L'une des planches du Projet crocodile qui a suscité la polémique auprès des élus toulousains

© LE LOMBARD/THOMAS MATHIEU

Dans l'une des planches qui ont fait bondir les élus, on voit un couple de femmes se faire agresser verbalement après s'être échangées un baiser. Un homme leur lance : "Hey les lesbiennes, vous voulez ma bite dans votre cul ?". Le second dessin montre une femme dans une salle de bain, en train de se laver les dents. Sans lui demander son avis, et alors qu'elle proteste contre tout rapport sexuel, son compagnon la sodomise.

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"Faire le jeu de l’ensemble des agresseurs". Choquée de voir que son histoire a été censurée par la mairie de Toulouse, la jeune femme violée par son compagnon a décidé d'écrire une lettre à Julie Escudier, l'élue chargée de mettre sur pied le projet. "Je suis M., l’anonyme qui a fournit son témoignage de viol conjugal qui semble vous poser tant problème", débute-t-elle en préambule de sa lettre, citée par France Inter. La jeune femme déplore une censure qui met le voile sur les viols conjugaux. Un problème sur lequel "nous disposons de très peu de témoignages". Et de conclure : "imposer le silence par la censure, c’est faire le jeu de l’ensemble des agresseurs."

L'une des planches du Projet crocodile qui a suscité la polémique auprès des élus toulousains

© LE LOMBARD/THOMAS MATHIEU

De son côté, Thomas Mathieu déplore les accusations de "vulgarité". "Il est délicat pour une victime qui m’a confié son histoire et dont j’ai fidèlement reproduit les propos d’entendre dire que telle planche est vulgaire", souligne-t-il. Ce dernier estime au contraire que ces dessins abordent "des thèmes qui posent problème dans la société d’aujourd’hui". Pour Thomas Mathieu, la réaction de la mairie est réactionnaire. "On voit deux femmes se tenir la main dans la première. Je me demande si ce n’est pas cela, finalement, qui est trouvé immoral et pornographique. Ce serait grave", prévient-il.

Les planches exposées lors d'une manif. Forcé de s'expliquer, le maire de la ville à botté en touche, expliquant que d'autres initiatives ont "été jugées meilleures pour faire passer le message en faveur des femmes". Pour donner une visibilité au Projet Crocodile, le groupe Europe Écologie-Les Verts a donc décidé d'exposer mardi en fin d'après-midi ces planches sur le Square Charles de Gaulle, en lieu et place de l'exposition.