Devoirs à la maison : 50 ans de retard ?

Retour à la semaine de quatre jours et demi, moins de redoublements, devoirs faits à l'école : François Hollande a présenté mardi les grands axes de sa politique d'éducation
Retour à la semaine de quatre jours et demi, moins de redoublements, devoirs faits à l'école : François Hollande a présenté mardi les grands axes de sa politique d'éducation © MAXPPP
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Le chef de l’État veut des devoirs faits à l'école mais un texte de 1956 les interdit déjà.

"Les devoirs doivent être faits dans les établissements plutôt qu'à la maison." François Hollande a détaillé mardi le plan du chantier de la refondation de l'école. Et il a ainsi déterré un vieux serpent de mer : celui de la suppression des devoirs à la maison pour l'école primaire.

Depuis les aurores de la République cette proposition revient sur le devant de la scène. Pourtant, dans les écoles de l'hexagone, les professeurs ordonnent toujours à leurs élèves de noter dans leurs cahiers de texte les exercices sur lesquels ils devront plancher chez eux pour le lendemain. Qu'est-ce que François Hollande peut faire de plus? Décryptage.

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Les devoirs interdits depuis… 1956. En réalité, les devoirs "écrits" sont interdits depuis un arrêté du 23 novembre 1956. "Aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe. Cette prescription a un caractère impératif et les inspecteurs départementaux de l'enseignement du premier degré sont invités à veiller à son application stricte", écrivait la circulaire d'application du texte.

Devant le laxisme de son application, plusieurs circulaires ont rappelé cette interdiction au fil des ans : en 1962, 1964, 1971, 1986, 1990. Celle du 17 décembre 1964 ajoute même une précision et porte l'interdiction aux "écrits à exécuter hors de la classe, car certains enseignants interprètent les textes en déclarant ne pas donner des devoirs mais des exercices écrits", écrit un rapport de 2006 de l'Académie de Lille.

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En 1994, les études dirigées – aides personnalisées pour chaque élève après les cours - sont mises en place par une nouvelle circulaire. "Dans ces conditions, les élèves n'ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire", répète le nouveau texte. "À la sortie de l'école, le travail donné par les maîtres aux élèves se limite à un travail oral ou des leçons à apprendre", écrit encore aujourd'hui le site du ministère de l’Éducation.

Pourquoi les maîtres continuent d'en donner? Des problèmes de maths aux textes à trous en Histoire en passant par les listes de mots en grammaire… Les professeurs des écoles donnent toujours des "exercices écris" à faire à la maison pour leurs élèves.

"C'est qu'il y a une forte attente des familles. Les devoirs sont la face visible de l'école. Les parents ont besoin de voir que les enfants travaillent. Le succès des entreprises qui donnent des cours particuliers et des cahiers de vacances attestent de cette attente des famille", explique Sébastien Sihr, le secrétaire général du SNUipp, syndicat enseignants du 1er degré, interrogé par Europe1.fr. Selon un sondage Ifop pour radio Alouette publié lundi, 68% des Français se prononcent en effet contre la suppression des devoirs à la maison.

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La deuxième raison vient du flou de la réglementation. Si l'arrêt de 1956 demeure, il n'y a plus de circulaire précise demandant clairement son application. Car en 2002, une circulaire est venue remplacer celle de 1994, qui instaurait les études dirigées. La nouvelle n'évoquait plus, ni les études dirigées, ni du coup, les devoirs à la maison, puisque les deux étaient liés dans celle de 1994.

Les arguments en faveur de la suppression. De nombreuses voix s'élèvent contre l'arrêt définitif de cette pratique. "Six heures de classe bien employées constituent un maximum au-delà duquel un supplément de travail soutenu ne peut qu'apporter une fatigue préjudiciable à la santé physique et à l'équilibre nerveux des enfants. Enfin, le travail écrit fait hors de la classe, hors de la présence du maître et dans des conditions matérielles et psychologiques souvent mauvaises, ne présente qu'un intérêt éducatif limité", avait, en 1956, justifié le gouvernement.

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La plupart de ces arguments sont repris aujourd'hui par les détracteurs des devoirs à la maison. "Depuis son entrée au CP ma fille est stressée par rapport à ses devoirs du soir. Souvent on n'a pas le temps de les finir et ma fille a peur d'être grondée", écrivait en mars dernier, la FCPE, principale fédération de parents d'élève, et l'Institut coopératif de l'école moderne (ICEM-Pédagogie Freinet), lors d'une campagne contre les devoirs. Selon l'ONG ATD Quart monde, le travail scolaire à la maison est "source de grandes inégalités", vu les conditions de travail qui diffèrent selon les classes sociales.

Ce que peut faire François Hollande. François Hollande peut demander à son ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, d'envoyer une circulaire plus précise sur l'interdiction des devoirs. Et d'y indiquer des sanctions, toutes aussi précises, en cas de non respect. Il peut également réclamer la suppression des devoirs "oraux" (poésie, apprentissage de leçon…), là où le texte de 1956 n'interdit que les "écrits".

François Hollande, mardi à la Sorbonne

© Reuters

"François Hollande a le bon constat quand il pointe les difficultés rencontrées par les familles, il faut maintenant qu'il mette en place la bonne solution", prévient, de son côté, Sébastien Sihr du SNUipp. "La question n'est pas : 'pour ou contre les devoirs à la maison'? Il faut certes des devoirs bien plus légers à faire chez soi, reconnait-il. Mais il faut aussi que les élèves puissent mieux être pris en charge à l'école après les cours. Il faut donner les moyens de leur apprendre à apprendre tout seul. Enfin, on doit renouer le lien entre l'école et les familles, surtout celles qui n'ont pas les codes scolaires. Il faut pouvoir les accueillir, de manière bienveillante, et leur expliquer comment accompagner leurs enfants."