Danielle Mitterrand, larmes à gauche

Danielle Mitterrand est décédée à l'âge de 87 ans.
Danielle Mitterrand est décédée à l'âge de 87 ans. © REUTERS
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PORTRAIT - L’ex-Première dame, décédée mardi, s’est toujours distinguée par sa radicalité.

21 avril 2002. Lionel Jospin vient d’être éliminé dès le premier tour de l’élection présidentielle. Visiblement défait, il tente de faire bonne figure dans son QG, face à ses partisans. Un petit bout de femme s’avance alors vers lui, un grand sourire aux lèvres. Il s’agit de Danielle Mitterrand. Vient-elle réconforter le grand perdant de la soirée ? Pas vraiment. "C’est un beau jour", glisse-t-elle au malheureux, qui se décompose un peu plus. Un beau jour, car dans le même temps, l’extrême gauche a fait un beau score. Un beau jour aussi, car il sanctionne une campagne pas assez ancrée à gauche, au goût de l’épouse de François Mitterrand.

Danielle Mitterrand surprend Lionel Jospin (à partir de 50'') :

Cette anecdote dessine la personnalité de celle qui fut pendant 14 ans la première dame de France : sans concessions et radicalement, fondamentalement, de gauche. Cette posture, Danielle Mitterrand ne s’en est jamais départie, toute sa vie. Depuis son entrée dans la Résistance en 1942, à 17 ans, à la présidence de la fondation France Libertés, jusqu’à sa mort, elle conservera ce franc-parler et ce souci de préserver les plus démunis.

Danielle Gouze, la résistante

Danielle Gouze, née le 29 octobre 1924 à Verdun, a de qui tenir. Ses parents, elle institutrice, lui principal de collège, sont tous les deux des laïcs et des républicains convaincus, militants à la SFIO. Son père, Antoine Gouze, est démis de ses fonctions en 1940 quand il refuse de recenser, à la demande du régime de Vichy, les élèves et enseignants juifs de son établissement. Au domicile familial, à Cluny, entre 1940 et 1942, puis à Dinan, des résistants en fuite, des maquisards, trouvent régulièrement refuge.

Logiquement, Danielle épouse alors la cause de la Résistance, à 17 ans. Une véritable affaire de famille, puisque sa sœur aînée Christine Gouze est aussi une résistante. C’est elle qui lui présente, début 1944, François Morland, alias François Mitterrand, qui doit fuir Paris pour rejoindre la Bourgogne. C’est Danielle qui l’accompagne. Pour échapper aux contrôles, les deux jeunes gens jouent aux amoureux transis. Ils interprètent si bien leur rôle que rapidement, l’idylle feinte devient réalité.

La mère de famille

Et c’est dans Paris libéré que Danielle Gouze devient Danielle Mitterrand, le 28 octobre 1944. Mais elle n’épouse pas qu’un homme. Elle lie son destin à une carrière, une trajectoire politique. Dès 1946, elle participe à la campagne législative dans la Nièvre, département d’adoption de son mari. Mais rapidement, le couple monte à Paris, quand François Mitterrand est nommé ministre des Anciens combattants, en janvier 1947.

Pendant près d’une décennie au cours de laquelle son mari ne quitte presque jamais les ministères, Danielle Mitterrand se consacre à l’éducation de ses deux fils, Jean-Christophe, né en décembre 1946 et Gilbert, né en février 1949. Son premier fils, Pascal, né en 1945, est décédé deux mois après sa naissance. Une blessure qu’elle n’évoquera jamais publiquement.

Mais la vie de mère de famille ne lui sied pas tout à fait. Et c’est avec bonheur qu’elle soutient son candidat de mari lors de l’élection présidentielle de 1965, perdue face à Charles de Gaulle.

Le couple Mitterrand vote dans la Nièvre :

François Mitterrand cantonné dans l’opposition, elle n’apparaît plus que par intermittence, lors des grands rendez-vous électoraux. Mais elle reste inlassablement aux côtés de son mari, et oeuvre pour sa victoire future.

"François, c'est ma vie", dit-elle en 1975 :

En 1981, sa participation, même minime, à la campagne présidentielle s’avère décisive. Sa mission est simple : jurer avec l’image grande bourgeoise, quasi aristocratique, dégagée par Anne-Aymone Giscard d’Estaing, alors installée à l’Elysée avec son mari Valéry. Dans Paris-Match, elle se présente ainsi en femme très simple, proche du peuple. Et renforce ainsi l’image populaire de François Mitterrand, finalement élu le 10 mai 1981 à la magistrature suprême.

La Première dame

Installée à l’Elysée, la nouvelle première dame de France refuse tout net le rôle de "potiche" dans lequel se sont enfermées ses deux devancières. Aucun sujet ne lui semble interdit, aucune prise de position publique ne lui fait peur. Souvent, ses prises de paroles sont guidées par son ancrage très à gauche. Elle soutient ainsi ouvertement Fidel Castro face au géant américain, comme elle soutient face au même ennemi les guérillas du Salvador et du Mexique.

Les causes tibétaine ou kurde sont d’autres combats qu’elle mène, sans souci de contrecarrer l’inévitable Realpolitik de son Président de mari. Agacé parfois, attendri souvent, François Mitterrand laisse faire. Elle deviendra, au fur et à mesure des deux septennats de son époux, sa caution de gauche, son aile dure. A l’intérieur aussi, du reste, elle ne respectera pas l’officieux devoir de réserve lié à son officieuse fonction. En décembre 1986, alors que la première cohabitation vit ses premiers mois, elle n’hésite pas à critiquer dans Le Journal du Dimanche le gouvernement de Jacques Chirac qui "fait tout et n’importe quoi".

Pour autant, Danielle Mitterrand n’oublie pas de perpétuer la tradition humanitaire lancée par celle qui l’a précédée à l’Elysée. En 1986, elle crée ainsi, en fusionnant deux associations (L’association du 21 juin et Cause commune), France Libertés - Fondation Danielle Mitterrand. Destiné à venir en aide aux populations opprimées ou déshéritées, l’organisme devient rapidement le moyen d’action et d’expression favori de sa fondatrice-présidente.

Danielle Mitterrand fonde France Libertés :

L’humanitaire

Après la mort de François Mitterrand en janvier 1996 d’ailleurs, ses sorties médiatiques seront guidées souvent par son rôle à la tête de l’ONG. Le sous-commandant Marcos, au Mexique, ou plus récemment le Chef Raoni, au Brésil, bénéficient de son soutien actif. Mais elle n'oublie pas la politique. En 2005, au rebours d’une bonne partie de ses proches, elle se prononce pour le non au référendum sur le projet de Constitution européenne. Puis en 2007, elle apporte un soutien discret à Ségolène Royal.

Voilà pour le rôle public. En privé, Danielle Mitterrand, elle le sait, a épousé un grand séducteur. A la naissance de Mazarine Pingeot, fille illégitime du Président Mitterrand, dont elle est bien sûr informée, elle décide de ravaler sa colère et de pardonner à l’homme qu’elle aime et admire encore passionnément. D’autant qu’elle-même bénéficie d’une certaine liberté. "Il n'y a pas de pauvre Danielle", témoignait dans Libérationun proche, quelques mois après la mort de François Mitterrand, en janvier 1996. "Il lui a imposé son caractère, elle lui a imposé ses règles de vie. Elle a choisi et organisé. Elle n'est pas à plaindre."

Alors, lors des obsèques de François Mitterrand, quand elle aperçoit la jeune Mazarine en larmes à ses côtés, elle l’enlace dans un geste qui surprend beaucoup de témoins. "L’instinct", expliquera-t-elle dans Libération. Un contrepied de plus, surtout. Marqué du sceau de l’humanité.