Certaines nationalités privées du mariage gay

© MAXPPP
  • Copié
, modifié à
Najat Vallaud-Belkacem a indiqué que le gouvernement n'excluait pas de négocier avec les pays concernés.

Vous êtes Algérien, Polonais, Serbe ou Tunisien ? Vous faites donc partie des onze nationalités privées de mariage pour tous, selon les informations de Street Press. Des accords bilatéraux, signés il y a plusieurs années entre la France et onze pays, empêchent en effet aux couples homosexuels de se marier. Ces accords, relatifs au droit de la famille et signés pour la plupart dans les années 60, priment sur le droit français. Ils ont été automatiquement intégrés à la circulaire relative au mariage pour tous, empêchant, de fait, certains couples, dont l'un des conjoints est originaire de ces pays, à se marier.

Des milliers de couples seraient concernés, selon Thomas Fouquet-Lapar, de l’Association pour la reconnaissance des Droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l’immigration et au séjour (Ardhis). Najat Vallaud-Belkacem, la porte-parole du gouvernement a toutefois indiqué lors du compte-rendu du conseil des ministres mercredi que le gouvernement n'excluait pas de négocier avec les pays d'origine.

Que dit cette circulaire ? Selon le texte de loi définitivement adopté par l'Assemblée nationale le 23 avril dernier, le mariage pour tous s'applique aux couples dont au moins un des futurs époux est Français ou a sa résidence en France. Sauf que ce principe n'est pas valable pour les ressortissants de onze pays. En cause : des accords bilatéraux entre la France et les pays en question, où le mariage homosexuel est interdit. La France accepte donc d'appliquer la loi relative au mariage telle qu'elle existe dans le pays d'origine.

"La règle introduite par l’article 202-1 alinéa 2 ne peut s’appliquer pour les ressortissants de pays avec lesquels la France est liée par des conventions bilatérales qui prévoient que la loi applicable aux conditions de fond du mariage est la loi personnelle", rapporte la circulaire du mariage pour tous. "Dans ce cas, en raison de la hiérarchie des normes, les conventions ayant une valeur supérieure à la loi, elles devront être appliquées dans le cas d’un mariage impliquant un ou deux ressortissant(s) des pays avec lesquels ces conventions ont été conclues", peut-on lire.

Qui est visé par cette exception ? Sont concernés les ressortissants venant de Pologne, du Maroc, de Bosnie-Herzégovine, du Monténégro, de Serbie, du Kosovo, de Slovénie, de Tunisie, d’Algérie, du Laos et du Cambodge. Selon le ministère de la Justice interrogé par Street Press, "la révision de ces accords relève du ministère des affaires étrangères". Du côté du quai d'Orsay, Jacques De Noray, porte-parole adjoint au ministère, précise qu'" à sa connaissance aucune procédure de modification de ces traités n’est en cours". Des propos confirmés par Najat Vallaud-Belkacem, lors du compte-rendu du conseil des ministres mercredi. Interrogée par Le Lab, la porte-parole du gouvernement a indiqué que la renégociation de ces accords n'était pas à l'ordre du jour mais qu'elle n'était pas "exclue". "Nous luttons contre les discriminations et sommes en contact avec les pays amis, mais ce n’est pas à nous de leur dicter la conduite à avoir", a-t-elle ajouté.

Les couples hétéros favorisés ? Cette situation suscite l'indignation des associations de défense des droits LGBT. Thomas Fouquet-Lapar de l’Ardhis évoque pour sa part "une discrimination". D'autant plus que, selon lui, les autorités seraient moins regardantes avec les conventions internationales pour les couples hétérosexuels. Il est en effet courant de voir une femme musulmane algérienne se marier en France avec un homme d’une autre religion, alors que c'est totalement interdit en Algérie, un pays avec lequel la France a pourtant signé des accords bilatéraux en 1962. "Il n’y a pas toujours de conversion et ça n’empêche pas de voir des mariages mixtes partout, seulement, ce sont des couples hétéros", déplore Thomas Fouquet-Lapar.

>> A lire - Mariage gay : que faire si un maire refuse ?

Des recours possibles ? Face à cette inégalité de traitement, certains couples homosexuels comptent porter l'affaire devant la justice. "Nous avons été contactés par un couple franco-cambodgien, après qu’une mairie ait refusé de les marier. Ils sont bien décidés à porter l’affaire devant le juge", indique Thomas Fouquet-Lapar. Contacté par Europe1.fr, le Défenseur des lois, assure que pour l'instant aucun recours n'a été déposé. De son côté, la chancellerie indique à Europe 1 que des recours devant la justice pourraient permettre aux couples concernés de se marier et feraient ainsi jurisprudence pour les prochaines unions.

D'un point de vue du droit, de tels recours semblent néanmoins compliqués. Les couples concernés peuvent en effet faire valoir la Convention européenne des Droits de l’Homme pour dénoncer la discrimination dont ils sont victimes. "Le problème, c’est la manière dont le juge considère la supériorité ou non de la Convention des Droits de l’Homme par rapport aux accords internationaux. C’est compliqué car ces traités ont la même valeur", résume Guillaume Tusseau, professeur de droit public à Sciences Po.