Bourgi, fantôme de la "Françafrique"

Robert Bourgi, le dernier messager de la "Françafrique"
Robert Bourgi, le dernier messager de la "Françafrique" © EUROPE 1
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Hélène Favier avec Reuters , modifié à
PORTRAIT - Désormais proche de Sarkozy, il reconnait avoir été un porteur de valises sous l'ère Chirac.

Verbe ciselé, connaissance quasi-parfaite des nomenclatures africaines, Robert Bourgi s'est placé, dimanche, au coeur d'une nouvelle polémique sur le financement des campagnes politiques françaises.

Dans une interview donnée au Journal du Dimanche, l'ex-avocat de 66 ans assure avoir remis à l'Elysée, sous Jacques Chirac, des millions de dollars de financements occultes. L'ex-président et Dominique de Villepin - également visé par ses accusations - ont d'ores déjà annoncé qu'ils portaient plainte pour diffamation.

L'héritier de Foccart

Qui est Robert Rourgi ? Certainement le dernier grand acteur de la "Françafrique", du nom de cette relation privilégiée entre la France et ses anciennes colonies d'Afrique noire reposant sur des réseaux d'influence. D'origine libanaise né à Dakar, cet avocat a été, durant des années, un discret "Monsieur Afrique" officieux de Jacques Chirac à l'Elysée. Puis en 2005, il a rallié Nicolas Sarkozy, qui lui a remis la Légion d'honneur fin 2007. 

Héritier de Jacques Foccart, le grand ordonnateur des affaires africaines du gaullisme, il a noué des liens étroits avec plusieurs dirigeants du continent noir comme Omar Bongo puis son fils Ali, qui lui a succédé à la présidence du Gabon, Denis Sassou-Nguesso (Congo) ou Abdoulaye Wade (Sénégal).

"Je ne sais pas s'il a participé à un système de financement occulte des partis politiques, mais c'est vrai qu'il a toujours été le messager d'un certain nombre de présidents africains, c'est quelqu'un qui une connaissance approfondie des dirigeants africains et qui connaît très bien le Golfe de Guinée", reconnaît, dimanche matin sur Europe 1, Antoine Glaser, spécialiste du continent africain et directeur de la revue "la lettre du continent"

Devenu proche de Sarkozy

Tout en disant sa volonté de rompre avec les pratiques contestables du passé entre la France et ses ex-colonies, Nicolas Sarkozy a maintenu sa confiance à Robert Bourgi. Ce dernier figurait même au premier rang des invités de sa cérémonie d'investiture en 2007. "Je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy", fanfaronnait-il, en 2009, dans les colonnes du journal Le Monde.
     
Mais l'ex-avocat est ensuite vite sorti de l'ombre. Une première fois en racontant sur RTL qu'Omar Bongo l'avait personnellement chargé début 2008 de demander au chef de l'Etat la tête du secrétaire d'Etat à la Coopération Jean-Marie Bockel, coupable d'avoir exprimé sa volonté d'en finir avec la Françafrique.  Le dirigeant de la Gauche moderne avait alors été sorti du gouvernement pour être remplacé par le député UMP Alain Joyandet.

Le franc-tireur Bourgi

Puis, Robert Bourgi a rompu une seconde fois le silence lors de l'élection présidentielle gabonaise contestée de 2009 pour déclarer que si "la France n'a pas de candidat, le mien s'appelle Ali Bongo". Et l'ex-avocat d'enfoncer le clou :  "je suis un ami très écouté de Nicolas Sarkozy. De façon subliminale, l'électeur le comprendra".  Un an plus tard, il faisait partie de la visite officielle du président français au Gabon.

A l'Elysée, l'interlocuteur de Bourgi était le secrétaire général Claude Guéant, qui s'impliquait alors personnellement dans certains dossiers africains ou proche-orientaux délicats. Le départ de ce dernier pour le ministère de l'Intérieur et l'arrivée d'Alain Juppé au Quai d'Orsay fin février ont changé la donne, le nouveau ministre des Affaires étrangères ne cachant pas son hostilité au genre de diplomatie parallèle qu'incarne Robert Bourgi.

Dans son interview au Journal du Dimanche, l'ex-avocat indique d'ailleurs qu'Alain Juppé a obtenu qu'il soit retiré de la liste des invités pour l'investiture du nouveau président ivoirien Alassane Ouattara en mai dernier. Et il l'accuse dans la foulée d'avoir "la mémoire qui flanche", en affirmant qu'il a lui-même financé avec de l'argent gabonais le club 89, un cercle de réflexion chiraquien, quand Alain Juppé en était le secrétaire général au début des années 1980.