Ebola : les traitements expérimentaux peuvent-ils être efficaces ?

© Reuters
  • Copié
Noémi Marois , modifié à
ÉPIDÉMIE - L'OMS a tranché et autorisé la distribution de traitements non homologués dans les pays africains touchés par Ebola. Il y a cependant débat dans le monde médical. 

Un comité d'experts réuni par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a approuvé mardi l'utilisation de traitements non homologués dans le cadre de l'épidémie d'Ebola qui sévit en Afrique depuis mars. Selon le dernier décompte de l'OMS, le virus a tué 1.013 personnes et atteint 1.848 autres personnes. Il ne bénéficie à l'heure actuelle d'aucun traitement préventif ou thérapeutique. Les États-Unis avaient devancé l'OMS en autorisant l'envoi au Liberia de doses de sérum expérimental. Pour décider de cette distribution, il a fallu régler quelques questions éthiques sur lesquelles les médecins sont partagés.

>> LIRE AUSSI - Ebola, que va changer la mobilisation mondiale ? 

Des traitements non homologués, oui mais à certaines conditions. Il a fallu attendre que deux Américains soient touchés pour qu'un sérum expérimental, le ZMapp, soit "découvert". Pendant ce temps là, Ebola continuait à tuer en Afrique. Le traitement, qui a en apparence sauvé les deux occidentaux, a suscité l'espoir des pays africains. L'OMS a donc décidé qu'"il était éthique d'offrir des traitements non homologués dont l'efficacité n'est pas encore connue ainsi que les effets secondaires, comme traitement potentiel ou à titre préventif".

L'OMS pose ses conditions : "Une transparence absolue quant aux soins, un consentement informé, la liberté de choix, la confidentialité, le respect des personnes, la préservation de la dignité et l'implication des communautés".

Boursier.com - La fièvre Ebola, urgence de santé publique pour l'OMS

Quelle différence entre traitement homologué et non homologué. Pour être autorisé sur le marché, un traitement médical doit avoir été testé sur des animaux, puis avoir subi des essais cliniques concluants, comme l'explique l'OMS :  "La méthode de référence pour évaluer de nouveaux médicaments consiste à réaliser une série d’essais chez l’homme, en commençant avec un petit nombre de sujets, pour s’assurer que le produit peut être administré sans risque. Ces essais sont ensuite étendus à un plus grand nombre de personnes pour étudier l’efficacité du nouveau médicament et comment l’utiliser au mieux". La prise du médicament chez des patients test doit s'accompagner aussi de la prise d'un placebo chez un autre groupe. 

>> LIRE AUSSI - Ils ont retrouvé le premier malade de l'épidémie d'Ebola

Le ZMapp soulève-t-il trop d'espoirs ? Le ZMapp a été administré à trois personnes, mettant sur la voie de la rémission deux Américains. La troisième, missionnaire espagnol, est décédée mardi.

Quoi qu'il en soit, comme le ZMapp n'a pas bénéficié d'essais cliniques, on ne sait pas si c'est lui qui a sauvé les  deux Américains ou bien si c'est leurs défenses naturelles qui ont réagi. En effet, 40% des personnes infectées par Ebola guérissent d'elles-mêmes grâce à leur système immunitaire.

Ebola Guinée

© Reuters

Les malades africains, "des cobayes" ? L'OMS prend le risque d'autoriser des traitements aux effets secondaires possiblement dangereux. Au journal La Croix , le docteur Bernadette Murgue, directrice-adjointe de l'Institut de microbiologie et des maladies infectieuses de l'Inserm, pointe les conséquences d'une telle décision : "En cas d'échec thérapeutique ou d'effets secondaires graves, les populations locales pourraient avoir le sentiment qu'on a utilisé les malades africains comme des cobayes". Mais le docteur Murgue temporise aussi : "S'il s'agissait d'une maladie avec 5% de mortalité, je plaiderais pour qu'on respecte les procédures classiques d'homologation. Mais là, on est face à une létalité de 60%".

>> LIRE AUSSI - Un virus contre le virus Ebola espéré en 2015.

Mais à qui donner ces traitements ? Il faut compter plusieurs mois pour produire quelques centaines de doses de ZMapp. Ce qui sera bien insuffisant devant l'ampleur de l'épidémie. Alors, à qui administrer le traitement ? Les personnes les plus vulnérables, les personnels soignants ? Et dans quel cadre ? Un patient atteint de fièvres hémorragiques peut-il donner au médecin "un consentement informé" ? Des spécialistes s'inquiètent enfin de devoir distribuer des placebos à une partie des contaminés, sachant que la majorité d'entre eux va mourir. 

L'usage dit "compassionnel" de médicaments. L'OMS n'innove pas en autorisant des traitements non homologués. Il existe en médecine un "usage compassionnel" de traitements, qui est même inscrit dans le règlement de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). Il concerne "des médicaments prescrits alors qu'une issue fatale à court terme pour le patient est inéluctable, en l'état des thérapies disponibles". Dit de manière plus triviale, dans l'attente d'une mort certaine, tout est possible.

Cet usage exceptionnel, autorisé par l'Afssaps à un médecin et pour un seul patient, concerne des pathologies graves ou rares, qui ne bénéficient pas d'une recherche intensive de la part des laboratoires. Le traitement en question doit être au minimum autorisé dans au autre pays ou bien être en cours de test. La plupart des pays européens ont dans leur législation le même "usage compassionnel".

>> LIRE AUSSI - Ebola, la France se prépare