Thomas Guénolé : "Un programme chiffré est un gage de crédibilité du candidat"

Le résultat de la primaire de la gauche se jouera peut-être sur la précision des programmes.
Le résultat de la primaire de la gauche se jouera peut-être sur la précision des programmes. © BERTRAND GUAY / AFP
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Clément Lesaffre
Le politologue Thomas Guénolé revient sur la nécessité pour les candidats à l'élection présidentielle de chiffrer les mesures qu'ils proposent.
INTERVIEW

"C'est bien beau ce que vous proposez, mais combien cela va coûter ?" C'est en substance l'une des phrases les plus répétées depuis le début de la campagne pour l'élection présidentielle de mai, particulièrement lors des débats des différentes primaires. Revenu universel, réduction du nombre de fonctionnaires, relance économique... chaque mesure est passée au crible du budget. Thomas Guénolé, maître de conférence en science politique à Sciences Po Paris rappelle que le phénomène du chiffrage omniprésent ne date pas d'hier. Mais, selon lui, ne pas s'y plier aujourd'hui, c'est risquer sa crédibilité.

La nécessité de présenter un programme budgété est-elle récente ?

Thomas Guénolé : Le fait de chiffrer son programme n'est pas nouveau. On peut remonter jusqu'en 1974 et le débat entre Valéry Giscard-d'Estaing et François Mitterrand, resté célèbre pour le "Vous n'avez pas le monopole du cœur", lancé par le premier au second. Mais Valéry Giscard-d'Estaing a également marqué des points à un autre moment. Pendant que François Mitterrand présentait son programme, son adversaire a répété à plusieurs reprises : "Mais combien cela va-t-il coûter ?" Mitterrand a fini par s'agacer, avancer un chiffre et ajouter : "Nous avons édité un document très complet, monsieur Giscard-d'Estaing. Si vous aimez tant les chiffres, vous pourrez le consulter".

Ce à quoi VGE a répondu : "Faisons plutôt les calculs ensemble maintenant". Il a repris les chiffres de Mitterrand et démontré qu'il n'avait pas l'argent pour financer son programme sans emprunt. Et qui dit emprunt dit remboursement et intérêts annuels. De fait, il a montré que le programme de son opposant allait forcément coûter plus cher qu'il ne le disait. Comme on le sait Giscard a finalement battu Mitterrand. Cet épisode est en quelque sorte le point de départ de l'importance du chiffrage dans les campagnes présidentielles.

Comment a évolué le besoin de chiffrage avec le temps ?

TG : Ce phénomène s'est accru depuis 40 ans. Il y a eu un accélérateur majeur avec la campagne de 2007. Pour la première fois, la question de la dette publique devient un thème essentiel d'une élection présidentielle. C'est François Bayrou qui a soulevé l'importance de respecter les objectifs définis par le Traité de Maastricht, à savoir 3% de déficit maximum. Au cours de la décennie passée, les think tank et les médias de premier plan se sont emparés du sujet. Certains événements ont renforcé cette tendance comme la crise des subprimes puis la crise des dettes souveraines européennes. Désormais, les candidats sont en permanence questionnés sur la faisabilité budgétaire de leur programme. Il y a une hyper-focalisation des médias sur la dette publique.

Quels sont les avantages à présenter un programme chiffré ?

TG : Le fait de chiffrer son programme est un gage de la crédibilité du candidat. Mais ils ne le font pas uniquement pour les médias. Il y a bien une préoccupation croissante de l'électorat. Les électeurs du centre sont les plus attachés à la question de la dette publique, idem à droite. En revanche, les personnes qui votent à gauche n'en font pas un point essentiel et ceux qui optent pour les extrêmes ne sont pas du tout préoccupés par cette question. De manière générale, il suffit de montrer que son projet est sérieusement budgété pour se voir accorder un surcroît de crédibilité. La primaire de la droite est un bon exemple. François Fillon était le plus précis dans son chiffrage ce qui lui a conféré un avantage auprès des votants qui se sont dit : "Avec Fillon, on sait où on va". A gauche, pour l'instant, Arnaud Montebourg est le plus crédible aux yeux des électeurs, or c'est lui qui a le plus chiffré son programme.

Il y a une vraie attente de la part des électeurs. Plus que du réalisme, ils cherchent du professionnalisme chez les candidats. Un programme qui n'est pas chiffré, aujourd'hui, cela donne l'impression d'un manque de sérieux. Au contraire, des mesures rigoureusement chiffrées laissent entendre que vous avez sérieusement travaillé.