Fonctionnaires : les objectifs de réduction de Fillon et Juppé sont-ils réalistes ?

Supprimer des postes est une décision délicate qui ne manquera pas d'entraîner des mouvements sociaux (photo d'illustration).
Supprimer des postes est une décision délicate qui ne manquera pas d'entraîner des mouvements sociaux (photo d'illustration). © PIERRE VERDY / AFP
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Clément Lesaffre , modifié à
Les deux candidats de la primaire de la droite veulent tous les deux réduire drastiquement le nombre de fonctionnaires pour assainir les finances publiques.

500.000 pour François Fillon, 300.000 pour Alain Juppé. Les deux finalistes de la primaire de la droite s'accordent sur la nécessité de réduire sévèrement le nombre de fonctionnaires. Mais ils divergent sur les pôles concernés, les moyens pour atteindre leurs objectifs respectifs et les mesures de compensation. Passage en revue des ambitions et des obstacles qui attendent les deux candidats.

État des lieux de la fonction publique

Que prévoient les deux candidats ?

François Fillon prévoit de supprimer 500.000 postes de fonctionnaires en cinq ans, à un rythme régulier. Pour cela, il compte jouer sur les départs à la retraite - 600.000 entre 2017 et 2022, selon son entourage - et les fins de missions de 500.000 contractuels. Le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux permettra d'atteindre cet objectif. La répartition des suppressions de poste n'est pas encore clairement déterminée, mais selon l'équipe du candidat, la justice, la police et la défense seront épargnées.

Alain Juppé envisage entre 250.000 et 300.000 suppressions de poste dans la fonction publique, en cinq ans. Là aussi, le non-remplacement d'une partie des agents prenant leur retraite est de mise. Le maire de Bordeaux est à peine plus précis quant à la répartition des poste supprimés. Son programme indique que "les personnels au contact du public" dans l’Education, la Justice, l’Intérieur et la Défense ne seront pas concernés.

Est-ce réaliste ?

Difficile à dire, tant que l'on n'aura pas plus de précisions sur les plans du vainqueur de la primaire, quel qu'il soit. Néanmoins, un élément de comparaison existe. Durant son quinquennat, Nicolas Sarkozy avait supprimé près de 190.000 postes dans la fonction publique d'État (employés des ministères et des services déconcentrés : préfectures, établissements d'enseignements ; et métiers liés aux fonctions régaliennes : défense, justice, sécurité...). Des coupes inédites réalisées "à l'arrache" selon un haut fonctionnaire de l'époque, cité par Le Monde. Or, Alain Juppé et encore plus François Fillon sont autrement plus ambitieux.

Les deux candidats assurent qu'ils compenseront les suppressions de poste afin de ne pas altérer la qualité du service public français. Ainsi, François Fillon veut augmenter la durée du temps de travail de 35 à 39 heures. Mais la base horaire de leur rémunération sera inférieure au niveau actuel. Selon lui, cela représentera "un gain de temps d'environ 10%, soit 500.000 postes". Mais cela implique l'idée que tous les métiers sont substituables, ce qui n'est évidemment pas le cas. L'ancien Premier Ministre compte par ailleurs rétablir le jour de carence, "dans un souci d'équité avec le privé".

Alain Juppé évoque également l'instauration de deux jours de carence en cas d'arrêt maladie comme piste de compensation. Plus important, il souhaite que le temps de travail effectif des fonctionnaires atteigne réellement les 35 heures. En effet, d'après un rapport remis à la ministre de la Fonction Publique, Annick Girardin, en mai, la durée annuelle de travail des fonctionnaires s'établit à 1.584 heures, niveau inférieur à la durée légale de 1.607 heures. La fonction publique souffre aussi d'autorisations d'absences trop nombreuses et, dans certaines régions, de jours fériés supplémentaires. Enfin, Alain Juppé veut accroître la compétitivité des agents, notamment grâce au numérique, et déléguer certaines fonctions au privé.

Mais ces mesures pourraient ne pas suffire, au vu des besoins des Français. L'évolution démographique indique clairement deux tendances : il y a de plus en plus d'étudiants et de personnes âgées. Les premiers ont besoin d'un enseignement de qualité, ce qui rend difficile les coupes, dans un secteur où la France est déjà à la traîne sur le plan international. Plus complexe encore est la situation des seniors. la population française vieillit et vit plus longtemps chaque année. Ce qui implique nécessairement des besoins médicaux toujours plus importants, d'où la difficulté d'engager des suppressions de poste dans les hôpitaux, déjà en grande difficulté pour beaucoup.

Quels obstacles ?

Chaque candidat se heurte à des obstacles différents. François Fillon souhaite des suppressions de postes dans les trois pôles de la fonction publique : d'État, territoriale et hospitalière. Or, le gouvernement et le Parlement peuvent agir uniquement sur les effectifs des "fonctionnaires civils et militaires de l'État", comme spécifié dans la Constitution. Pour faire des coupes dans les collectivités territoriales, l'ancien Premier Ministre devra modifier le texte fondateur de la Vème République. Sauf si...

François Fillon a assuré, mercredi sur Europe 1, qu'il n'aura pas à le faire, simplement en diminuant les subventions que l'État accorde aux fonctions publiques territoriales. Avec des budgets en baisse, départements, régions et communes seront obligées de réduire d'eux-mêmes leurs effectifs. C'est un peu moins compliqué dans la fonction publique hospitalière puisque le gouvernement et le Parlement disposent des leviers que sont la loi de financement pour la Sécurité sociale et la fixation par le gouvernement de l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. Mais dans les deux cas, de tels bouleversements entraîneraient forcément des mouvements sociaux d'ampleur.

Alain Juppé, lui, souhaite circonscrire les suppressions de postes aux fonctionnaires d'État. Mais il sanctuarise l'Éducation, la Défense, la Justice et l'Intérieur... qui représentent plus des deux-tiers de l'emploi dans la fonction publique d'État ! Autrement dit, si Alain Juppé veut respecter son objectif de 60.000 postes supprimés par an, cela se traduira par le non-remplacement de 75 à 88% des départs à la retraite, selon des scénarios de l'Institut Montaigne. Là encore, cette mesure drastique ne manquerait pas de créer des conflits sociaux majeurs.