Simone Veil et l'IVG : les coulisses d'une photo historique

Simone Veil a tenu le 26 novembre 1974 un discours d'une heure devant une Assemblée nationale presque exclusivement masculine.
  • Copié
Romain David , modifié à

En novembre 1974, l'Assemblée nationale adopte la légalisation de l'avortement, après trois jours d'une bataille menée vent debout par Simone Veil, morte vendredi à l'âge de 89 ans.

Ce cliché a fait entrer dans l'histoire sa silhouette au chignon impeccablement lissé. Le 26 novembre 1974, à la tribune de l'Assemblée nationale, Simone Veil, disparue le 30 juin à 89 ans, prononce l'un des discours les plus marquants de la Cinquième République, coup d'envoi d'une rude bataille parlementaire pour la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse.

Devenue ministre de la Santé en 1974, grâce à l'appui de Jacques Chirac, Simone Veil est chargée de rédiger une loi sur l'interruption de grossesse. À l'époque, l'avortement est passible de prison, et les actes clandestins coûtent la vie à plusieurs centaines de femmes chaque année. En 1971, dans le  manifeste dit des "343 Salopes", rédigé par Simone de Beauvoir et publié dans Le Nouvel Observateur, des personnalités du monde du cinéma, de la littérature et de la chanson, telles que Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Jeanne Moreau ou encore Brigitte Fontaine, révèlent avoir déjà avorté. L'affaire fait grand bruit.

" Cela restera toujours un drame "

Le 26 novembre 1974, Simone Veil présente devant les députés son projet de loi, un projet qu'elle a écrit dans son lit, rapporte Paris-Match. "Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme. Je m'excuse de le faire devant cette assemblée presque exclusivement composée d'hommes. Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. C'est toujours un drame, cela restera toujours un drame", déclare-t-elle d'une voix grave. Elle a devant elle neuf femmes et… 481 hommes. Pendant une heure, Simone Veil insiste sur le caractère "exceptionnel" de la mesure qu'elle veut faire passer, et qui doit rester, dit-elle, "l'ultime recours des situations sans issue".

"Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les trois cent mille avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours. L’histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays", assure-t-elle.

Simone Veil, cible d'attaques personnelles. S'ensuivent trois jours de débat particulièrement houleux. Au député Alexandre Brolo, qui accuse la ministre de vouloir instaurer le droit "de l'euthanasie légale",  le centriste Pierre Bourson répond : "Comment osez-vous parler d’euthanasie à Madame Veil ?", référence implicite aux camps de la mort dont elle a échappé pendant la Seconde Guerre mondiale. "On est allé jusqu'à déclamer qu'un embryon humain est un agresseur. Eh bien! Ces agresseurs, vous accepterez, Madame, de les voir, comme cela se passe ailleurs, jetés au four crématoire ou remplir des poubelles", ira jusqu'à lui lancer le député de La Manche Jean-Marie Daillet.

"Je me souviens qu'un parlementaire était venu avec des fœtus dans un bocal avec du formol", se rappelait même en 2014 Jean Veil, l'un de ses fils, au micro d'Europe 1.

Point d'orgue de cette bataille parlementaire : le geste de René Feït, gynécologue de profession, qui, un magnétophone en main, fait écouter à ses collègues les battements de cœur d'un fœtus de huit semaines, la loi Veil autorisant l'avortement jusqu'à dix semaines. Le texte est finalement adopté le 29 novembre 1974, à 3h40 du matin, par 284 voix contre 189. "Sur le plan personnel certains moments des débats parlementaires ont été difficiles", confiera Simone Veil, en toute sobriété, dans une interview télévisée.