Sélection à l'université : comment le gouvernement fait passer la pilule

Edouard Philippe
Edouard Philippe a présenté lundi le "Plan Etudiants" du gouvernement. © Patrick KOVARIK / AFP
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Une fois n'est pas coutume, l'exécutif a adopté une méthode de communication douce pour vendre son "plan étudiants" afin de ne pas déclencher de fronde.

"Je n'ai pas et n'ai jamais eu peur du mot 'sélection'. Mais ce n'est pas ce que nous proposons aux étudiants et aux lycéens français." Cette phrase, prononcée lundi matin par Edouard Philippe lors de la présentation en grande pompe du "Plan étudiants" du gouvernement, illustre parfaitement l'exercice d'équilibriste auquel se livre l'exécutif. Pour faire passer ses réformes, potentiellement sensibles tant le sujet de l'orientation et la sélection à l'université suscite des réactions épidermiques tous azimuts, le gouvernement soigne sa communication. Et choisit soigneusement son vocabulaire pour ne braquer personne.

L'art de la périphrase. Pas question, donc, de parler de sélection pour qualifier les procédures d'admission à l'université qui entreront en vigueur dès l'année prochaine. Le mot "pré-requis" n'apparaît pas non plus dans la synthèse du communiqué de presse ; il a été remplacé par "attendus". Edouard Philippe, qui était accompagné lundi matin de la ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, ainsi que du ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a préféré user de périphrases. "L'objectif n'est pas que l'université dise 'non'. Dans la plupart des cas, elle dira 'oui'. Et dans certains cas, elle dira 'oui, si'. Si quoi ? Si le candidat accepte un parcours adapté qui lui permette de réussir dans la filière qu'il a choisie."

"Priorisation" is the new "sélection". "Les licences générales restent non-sélectives", a martelé Frédérique Vidal. Pour ces filières-là, "il ne sera pas possible de refuser un étudiant à partir du moment où il y a un nombre de places suffisants". Mais c'est bel et bien le manque de places qui a entraîné la mise en place d'un système de tirage au sort très décrié, sélectif de facto, sur la plateforme Admission post-bac en juin dernier. "Dans le cas où le nombre de places serait insuffisant pour accueillir toutes les demandes, dans ce cas-là, ce sera en fonction de la motivation, des aptitudes, du dossier des candidats que seront faits les priorisations", a expliqué Frédérique Vidal. Il s'agit donc bel et bien d'une sélection qui ne dit pas son nom.

" L'objectif n'est pas que l'université dise 'non'. Dans la plupart des cas, elle dira 'oui'. Et dans certains cas, elle dira 'oui, si'. "

Le "naufrage" du tirage au sort. Autre stratégie : l'exécutif appuie sur le fait qu'une sélection existait déjà auparavant. Une "sélection par l'échec", selon Edouard Philippe, puisque bien des étudiants ne parvenaient pas à passer le cap de la première année. Et sélection, aussi, par le tirage au sort. Un véritable "naufrage", selon le Premier ministre, qui l'utilise comme repoussoir absolu. "Ce n'est pas seulement le naufrage d'un outil technique, mais celui d'une politique qui, faute d'avoir dit la vérité, a conçu un système sélectif, brutal et profondément inégalitaire."

Égalité théorique contre égalité réelle. Enfin, le gouvernement dégaine des éléments de langage dans la pure veine macroniste en opposant une égalité théorique à une égalité réelle. Cela a été résumé par Frédérique Vidal : "il faut passer du supérieur pour tous à la réussite dans le supérieur pour chacun." Autrement dit, rien ne sert d'ouvrir grand la porte de la première année d'université si c'est pour que les jeunes n'en sortent pas diplômés. En misant sur une meilleure orientation en amont, mais aussi un accompagnement renforcé des jeunes pour leur permettre éventuellement de se remettre à niveau avant leur entrée en licence, l'exécutif estime qu'il reste garant de l'égalité réelle entre les étudiants. "C'est la différence entre un droit déclaré, 'vous ferez ce que vous voudrez', et un droit effectif, 'vous aurez effectivement la chance de réussir dans la filière que vous choisissez'", a expliqué Edouard Philippe.

" C'est la différence entre un droit déclaré, 'vous ferez ce que vous voudrez', et un droit effectif, 'vous aurez effectivement la chance de réussir dans la filière que vous choisissez'. "

Cette opposition entre "droit déclaré" et "droit effectif" a déjà été utilisée à de nombreuses reprises par Emmanuel Macron pour défendre ses réformes. Il l'avait fait, notamment, sur sa loi activité de 2015, expliquant par exemple que libéraliser le secteur des transports, en permettant l'implantation de lignes de bus, renforçait les "droits réels" des plus modestes en leur permettant de se déplacer sur tout le territoire.

Chiffon rouge. Si l'exécutif prend tant de pincettes, c'est qu'il sait déjà que la sélection à l'université est un chiffon rouge pour nombre de syndicats de jeunes. L'Unef a d'ailleurs immédiatement fait savoir qu'elle rejetait les réformes prévues. "Pour nous, c'est une sélection qui dit clairement son nom", a lancé la présidente du syndicat, Lilâ Le Bas, sur RTL lundi. "Les présidents d'université pourront trier les dossiers des étudiants" et "dire non à certains qu'ils jugent moins aptes à rentrer dans des formations parce qu'il n'y a plus de places".

En revanche, d'autres organisations syndicales, à l'instar de la Fage, apprécient le compromis trouvé entre "tirage au sort" et "sélection sèche". "Chaque jeune décidera de son choix final d'orientation", a estimé le premier syndicat étudiant.