Quand Emmanuel Macron chasse sur les terres du Front national

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Emmanuel Macron donnera un meeting à Lille, samedi. © DENIS CHARLET / AFP
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Le candidat à la présidentielle écume le terrain et n'hésite pas à aller chercher les électeurs FN dans les fiefs frontistes. Avec une stratégie de prédilection : provoquer la discussion.

 

En politique, personne ne vient plus à Hénin-Beaumont par hasard. Depuis les législatives de 2012 et la guerre qui a opposé Jean-Luc Mélenchon à Marine Le Pen dans cette commune du Nord-Pas-de-Calais-Picardie, la ville est devenue un symbole de l'ancrage du Front national dans certains territoires. La victoire de Steeve Briois aux municipales de 2014 a achevé de la classer dans la catégorie des "fiefs" frontistes. Alors forcément, lorsqu'Emmanuel Macron choisit de s'y rendre, cela n'a rien d'une coïncidence et tout d'un calcul.

Le candidat à la présidentielle s'y est rendu vendredi en fin de journée pour remettre des médailles du Travail à des salariés de Metro. Plus tôt dans l'après-midi, il était à Lens, où le Front national signe aussi de jolis scores (20% des suffrages au premier tour de l'élection municipale il y a trois ans). Le 4 février, c'est Marine Le Pen qu'il ira défier directement à Lyon. La présidente du Front national avait déjà prévu de faire sa rentrée politique dans la capitale des Gaules lorsque le fondateur d'En Marche! a annoncé qu'il allait y tenir un meeting. Le Palais des sports de Gerland, réservé pour l'occasion, peut accueillir 7.000 personnes.

Un "rempart" contre le FN. Macron montre les muscles et chasse ouvertement sur les terres du Front national. Une stratégie qui n'a rien de récent. En octobre 2016 déjà, alors qu'il n'était pas encore officiellement candidat à la présidentielle, l'ancien ministre de l'Économie s'était déjà rendu dans l'Aisne. À Château-Thierry, où le Front national a enregistré un bond de 20% des suffrages entre les régionales 2010 et celles de 2015, il avait rencontré des médecins, des agriculteurs et des militants socialistes. Il avait recueilli leurs doléances et l'aveu, récurrent, de la tentation du vote frontiste. Aujourd'hui, il l'assume. Son "projet progressiste est avant tout un rempart à un parti qui porte la haine et l'exclusion pour attiser les peurs, les utiliser et diviser la société".

Incarner le renouveau pour rameuter les déçus. Mike Plaza, ancien responsable au MJS désormais référent En Marche! pour les jeunes dans l'Aisne, a accompagné Emmanuel Macron dans plusieurs déplacements. Et pour lui, pas de doute, son champion est le mieux placé pour parler aux électeurs du Front national. "Le seul moyen de reprendre les voix des Français qui votent extrême droite, c'est de rassembler au-delà de la droite et de la gauche", juge-t-il. "Les gens ont été déçus par Nicolas Sarkozy, déçus par François Hollande. Et on ne leur propose rien de nouveau comme solution." Au milieu de tout ça, Emmanuel Macron, qui se dit personnellement de gauche mais estime que son mouvement transcende les clivages politiques, "ramène un vent de fraîcheur", se félicite Mike Plaza.

L'alternative, pour ceux qui ne veulent plus de la droite ni de la gauche, ce serait donc lui. "Il est le seul à incarner le renouveau", appuie Jean-Pierre Meynet, animateur du comité En Marche! de Saint-Raphaël, dans le Var, autre terre frontiste que les supporters d'Emmanuel Macron espèrent arracher aux griffes de l'extrême droite. "Il est jeune, il apporte un vrai souffle." Le candidat lui-même ne dit pas autre chose, allant jusqu'à adopter une rhétorique "anti-système", lui qui a pourtant été banquier d'affaires, secrétaire général de l'Élysée et ministre de l'Économie…

"Écoute" et "pédagogie". Mais ce n'est pas ça qui, selon ses soutiens, lui portera le plus chance auprès de l'électorat frontiste. Mike Plaza souligne aussi son sens de la "pédagogie". "Quand il dit qu'il va lutter contre le chômage, il explique comment. Il n'a pas un langage 100% politique." Surtout, Emmanuel Macron a décidé d'"arrêter le Front national" en adoptant une stratégie radicalement différente de celle mise en œuvre, par exemple, par Nicolas Sarkozy, et qui consistait généralement à marcher sur les plates-bandes de Marine Le Pen en tenant une ligne très droitière. L'ancien ministre de l'Économie, lui, n'a jamais fait mystère de son soutien à l'accueil des réfugiés et adopte des positions clairement europhiles.

"Il fait sympa". Emmanuel Macron se distingue aussi sur la forme. "Il est très humain, très ouvert, très naturel. J'ai déjà vu des ministres me regarder de haut, extrêmement froids. Lui, ça m'a impressionné la première fois que je l'ai vu. Il est toujours à l'écoute", se souvient Mike Plaza, totalement conquis.

Au fil de ses déplacements sur le terrain, Emmanuel Macron a fait de ce sens du dialogue sa marque de fabrique. La CGT Goodyear s'invite au lancement de son mouvement à Amiens ? Il fait rentrer les syndicalistes. Des manifestants anti-loi Travail bloquent l'entrée de son meeting à la Mutualité le 12 juillet dernier ? Il va à leur rencontre. Son entourage décrit un homme qui aime la confrontation, n'a pas peur d'aller au contact.

Faire tout cela devant les caméras n'est pas sans risque. Tout le monde a en tête l'affaire du "costard" après une discussion avec des grévistes anti-loi Travail. Reste que les face-à-face se soldent souvent par une poignée de main. L'homme lance la même opération séduction avec les électeurs que celle qu'il avait entreprise, en 2015, avec les parlementaires sur sa loi Travail. À l'époque, le député socialiste frondeur Pouria Amirshahi résumait ce qui, aujourd'hui encore, transparaît souvent après une entrevue avec Emmanuel Macron : "Je ne sais pas s'il joue les sympas ou s'il est sympa, mais il fait sympa."

"Les gens ont besoin qu'on s'occupe d'eux". Le candidat à la présidentielle joue la politique de l'attention. "On en a réellement besoin", plaide Mike Plaza. "Beaucoup de politiques oublient que les gens adorent que les personnalités leur parlent, qu'elles viennent discuter avec eux." Jean-Pierre Meynet se souvient de ses premiers porte-à-porte pour En Marche! à Saint-Raphaël, où, pourtant, "tout le monde est très à droite et même les discours des Républicains ressemblent aux discours du FN". "Au début de nos discussions, les gens ouvraient à peine la porte, en laissant la chaîne de sécurité. À la fin, on finissait sur le canapé à boire l'apéritif. En fait, les gens ont besoin qu'on s'occupe d'eux. Ils n'en ont plus l'habitude. En réalité, ils ne l'ont même jamais eue."

Vote de contestation vs vote d'adhésion. La tactique adoptée par Emmanuel Macron est-elle suffisante pour faire barrage au Front national ? Mike Plaza comme Jean-Pierre Meynet partent du principe que le vote FN est "d'abord un vote de contestation, pas d'adhésion". Ce qui reste sujet à débat. Après les élections régionales de 2015, l'Observatoire des radicalités politiques, présidé par le spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus, battait en brèche cette idée. "Quand un parti politique est au-dessus de la barre des 10% depuis maintenant 31 ans, on ne peut plus dire qu'il s'agisse uniquement de protestation", expliquait alors le politologue. En outre, Emmanuel Macron s'est pour l'instant peu exprimé sur certains sujets mis en avant par le Front national, comme la sécurité. "Il faudrait qu'il en parle pour rassurer les Français", concède Mike Plaza, certain que ce sera le cas prochainement.

Le Front national réplique. Le Front national, de son côté, prend la menace Macron très au sérieux. Vendredi, le maire d'Hénin-Beaumont, Steeve Briois, s'est même fendu d'un communiqué pour dénoncer la visite d'Emmanuel Macron dans "sa" ville. "Sa présence est la preuve d'un cynisme achevé", a-t-il écrit. "Est-il venu danser sur les ruines de ce que le socialisme nous a laissé ?" Et l'édile frontiste d'appuyer là où cela pourrait faire mal, notamment sur la carrière de banquier du candidat qui le couperait nécessairement du peuple. "Emmanuel Macron vient dans le Pas-de-Calais comme certains vont au safari. Il n'est pas venu se frotter au peuple, fuyant sur le marché d'Hénin-Beaumont. Et ça se comprend : qu'est-ce que l'ancien agent de la Banque Rothschild, qui a gagné 2,4 millions d'euros au cours des 18 mois qu'il y a passés, aurait pu comprendre de la détresse des plus fragiles de nos concitoyens ?"

La réponse ne s'est pas fait attendre. Comme une image vaut parfois mille mots, c'est sur Twitter qu'Emmanuel Macron et ses soutiens se sont empressés de montrer les photos du candidat en pleine discussion. Histoire de prouver que "se frotter au peuple", le fondateur d'En Marche! connaît. Et adore ça.