Pourquoi le FN va droitiser son programme économique

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Marine Le Pen, coincée entre un Florian Philippot adepte du "social-populisme" et Louis Aliot ,chantre du "libéral-protectionnisme". © JACQUES DEMARTHON / AFP
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Le Front national tient un séminaire à partir de jeudi. Principal chantier : le programme économique, qui semble être un frein à la conquête du pouvoir. Mais la bonne formule sera difficile à trouver.

Elections après élections, le Front national n’en finit pas de progresser. Mais élections après élections, le Front national n’en finit pas d’essuyer des échecs au second tour. Partant du constat que la stratégie actuelle du FN a atteint ses limites, ses caciques organisent à partir de jeudi un séminaire dans l’Essonne pour tenter de briser ce fameux plafond de verre électoral. Si un changement de nom est évoqué, c’est bien sur les questions économiques que Marine le Pen et ses troupes vont se concentrer en priorité. "Trop à gauche", argumente Louis Aliot, vice-président du parti et initiateur du grand raout frontiste. Sans oublier la sortie de l’euro, pierre angulaire du programme économique du FN jusqu’alors, mais qui fait peur à une fraction de l'électorat.

Un "vivier" à droite. "S’il a progressé dans beaucoup de catégories de la population, il en est certaines où le FN reste endémiquement faible", relève le sondeur Frédéric Dabi. "C’est le cas des ‘sachants’, les personnes très diplômés, qui seront difficiles à conquérir, mais c’est aussi et surtout le cas des + 65 ans, une catégorie très vaste, et dont les personnes votent le plus. Or, précisément, les personnes âgées sont acquises en grande partie à la droite et ce sont celles qui ont le plus peur du saut dans l’inconnu que représente l’accession du FN au pouvoir, et particulièrement par rapport à la sortie de l’euro", précise le directeur du Pôle Opinion de l’Ifop.

"Normalement, le FN a fait le plein des voix à gauche lors des dernières élections", abonde Gilles Ivaldi, chercheur au CNRS. "Il a donc plus à gagner à droite, c’est là que se situe un vivier. D’autant que l’électorat de droite est actuellement en plein désarroi, puisqu’aucun candidat ne se démarque", insiste ce sociologue.

La diabolisation est devenue économique. Voilà donc où le Front national peut, et compte, gagner des voix. Mais pour l’heure, son programme économique ne le permet pas. "En 2012, le programme du Front national s’était beaucoup déplacé à gauche, par rapport aux années 1980, très libérales. Avec beaucoup plus d’Etat, un effort sur les bas salaires, bref un programme keynésien", rappelle Gilles Ivaldi, auteur de Les faux-semblants du Front national (Presses de Science-po). "Actuellement, son programme économique n’est pas compatible avec un rapprochement de l’électorat de droite."

En outre, les adversaires du Front national ont bien perçu cette faiblesse. "Ils ont compris que la dédiabolisation ancienne version ne marchait plus, qu’elle avait en tout cas moins d’impact", confirme Gilles Ivaldi. "Et c’est le programme économique qui est devenu aujourd’hui le moyen de décrédibiliser le FN. Sans surprise, c’est surtout la droite qui s’y emploie". Le FN est donc passé d’une diabolisation à une autre.

Du "social-populisme" au "libéral-protectionnisme". Le Front national doit donc changer son logiciel économique. Et ce n’est pas gagné. "Aujourd’hui, il y a une ligne de fracture" au sein du mouvement, selon Gille Ivaldi. "D’un côté, il y a les tenants d’un  ‘social-populisme’ défendu par Florian Philippot, et de l’autre les partisans d’un retour aux thèses plus libérales, incarné notamment par Louis Aliot ou Robert Ménard". Le chercheur pronostique la victoire des seconds. "Ce qu’on va avoir, c’est probablement une sorte de ‘libéral-protectionnisme’. Avec une Marine Le Pen très libérale à l’intérieur, et beaucoup moins à l’extérieur". Le FN devrait donc ce week-end décider d’axer sa communication sur les entreprises, sur les patrons et PME "étranglés et asphyxiés" par les "charges" et les normes.

Euro, en sortir ou pas. Reste la sortie de l’euro. Selon Florian Philippot, son ardent défenseur, la future candidate à la présidentielle défendra en 2017 la fin de la monnaie unique. "Il n'y a pas de débat sur le fond (au FN) mais une réflexion sur les meilleurs arguments", a affirmé mercredi le vice-président du FN dans L’Opinion. Reste que le sujet a peu à peu disparu des discours frontistes. "L’euro, Marine Le Pen en parle moins, elle parle désormais de sortie concertée, son discours s’est largement édulcoré", remarque Frédéric Dabi, de l’Ifop.

En toute logique, le FN devrait poursuivre sur cette voie, malgré les dires de Florian Philippot. "Les études montrent qu’il s’agit là du principal épouvantail pour les entreprises, y compris les PME, qui  s’inquiètent beaucoup des conséquences du retour au franc. En outre, l’électorat le plus âgé n’a pas envie de sortir de l’euro. Enfin, tout une partie de la jeunesse est socialisée à l’Europe, avec le programme économique, la libre circulation entre les pays européens", énumère Gilles Ivaldi. "Le FN va probablement conserver le grand principe idéologique de la sortie de l’euro, mais sur un très long terme, avec des conditions préalables très strictes. En gros, la repousser aux calendes grecques", prédit le chercheur.

Force et faiblesse du FN sur l’économie. Surtout, les changements constants du FN en matière économique ne risquent-ils pas de pénaliser le FN ? "C’est à la fois la force et la faiblesse du Front national", répond Gilles Ivaldi. "Pour lui, les principaux enjeux sont culturels, comme l’immigration, la sécurité, la préférence nationale. Et son programme économique a toujours été hétérogène, si bien qu’il peut le modifier sans avoir l’air de se renier". Mais par voie de conséquence, "il n’a pas de crédibilité sur l’économie". Et ça, pour 2017, c’est un handicap lourd, voire insurmontable. "Dans une élection présidentielle, si les enjeux culturels sont essentiels au premier tour, avoir un vrai programme économique est un élément fondamental pour l’emporter au second", conclut le chercheur.