PORTRAIT - Jean-Claude Gaudin, enfant de Marseille devenu «monument» politique

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avec AFP / Crédit photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP
L'ancien maire de Marseille Jean-Claude Gaudin est décédé ce lundi à l'âge de 84 ans. Élu de la cité phocéenne pendant 25 ans, l'homme politique a dédié sa vie à sa ville et sa vocation. Fier de ses réalisations à Marseille, ses opposants dressent un bilan moins reluisant.

Fils d'un maçon et d'une ouvrière devenu sénateur, ministre, mais surtout maire de la deuxième ville de France pendant 25 ans, Jean-Claude Gaudin, décédé à l'âge de 84 ans, a dédié sa vie à ses deux passions : la politique et Marseille. Il est "l'un des derniers monuments de la politique française", avait salué le chef de l'opposition socialiste au conseil municipal, Benoît Payan, qui s'est pourtant "opposé farouchement à lui" et dont la coalition de gauche avait mis fin en 2020 aux 25 ans de pouvoir de la droite à Marseille.

Le garçon svelte aux joues poupines qui entrait à 25 ans au conseil municipal était devenu un octogénaire massif au dos voûté, mais la voix portait toujours aussi fort, lorsque le "monument" s'emportait. Ses colères restaient légendaires, comme ce fameux "occupez-vous de vos enfants !" lancé lors d'une rentrée à des parents furieux que la mairie n'ait rien prévu pour l'accueil des élèves après les cours. Il s'est "fabriqué" à partir "des coups, de la violence, des horreurs de la politique", analysait Benoît Payan, il y a quelques années auprès de l'AFP évoquant "l'histoire d'un homme qui s'est fait tout seul". 

 

Il naît le 8 octobre 1939 à Mazargues, quartier villageois du sud de Marseille, d'un père maçon et d'une mère ouvrière dans une corderie. Leur seule richesse : un cabanon dans une calanque. Une enfance marquée par la religion catholique qui a "fait que l'envie de servir m'a toujours taraudé", confie-t-il à l'AFP. Une de ses dernières apparitions publiques date de la visite du pape François à Marseille en septembre 2023.

"Je veux faire ça"

Sa vocation politique surgit en 1956, lors d'un meeting de Germaine Poinso-Chapuis, résistante féministe devenue ministre à la Libération, sur une place de Mazargues. "J'étais subjugué : elle était vêtue de noir avec un collier de perles, elle haranguait la foule", décrit-il à l'AFP. "Quand je suis rentré chez moi j'ai dit à mon père : 'je veux faire ça !'".

Professeur d'histoire-géographie dans un collège privé, il se rapproche de la droite chrétienne. À 25 ans, il entre au conseil municipal sur une liste d'alliance gauche-centre droit conduite par Gaston Defferre (maire de 1953 à 1986). "C'est le jour le plus important de ma vie politique", assure-t-il.

 

Devenu député, il se fera remarquer lors des municipales de 1983, en soutenant le gaulliste Jean Hieaux, candidat à Dreux, en Eure-et-Loire, à la tête de la première liste RPR-Front national de France. "Il faut battre l'adversaire socialo-communiste", justifie-t-il.

Les prémices d'un "pacte" avec l'extrême droite, dont les voix lui permettront, trois ans plus tard, de remporter la présidence du Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Une co-gestion qui "marche", assure-t-il en 1990, demandant "qu'on arrête de [lui] casser les pieds avec ça".

42e maire

En 1995, après deux échecs consécutifs, Jean-Claude Gaudin devient le 42e maire de Marseille, le rôle de sa vie. "Celui qui n'a pas traversé Marseille dans la voiture de Jean-Claude Gaudin, vitres baissées, entendant les passants lancer 'Bonjour Monsieur le maire !', n'a pas connu le lien entre un maire et sa cité, ce lien charnel, viscéral", raconte le président du Sénat Gérard Larcher. Ministre de la Ville (1995-1997), cinq fois vice-président du Sénat, l'homme garde Marseille au cœur.

Aujourd'hui, il vante ses "grandes réalisations" : "un stade Vélodrome flambant neuf, les tunnels et le Mucem (Musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée)", mais surtout la baisse du chômage, de 22% à son arrivée à 11% aujourd'hui, sa "plus belle réussite".

Ses opposants dressent un bilan moins reluisant : réseau de transports en commun insuffisant, ville parmi les plus polluées de France, quartiers populaires délaissés, écoles "délabrées". Fin 2019, la Chambre régionale des comptes accable sa gestion, de l'immobilier au personnel. Déjà affaibli par une enquête sur le temps de travail de ses agents, le maire fustige "le pamphlet le plus stigmatisant, imparfait, injuste et infondé".

 

Mais le vrai tournant est survenu un an plus tôt, le 5 novembre 2018. Deux immeubles d'un quartier populaire -dont un est la propriété de la Ville- s'effondrent. Huit personnes meurent ensevelies. L'onde de choc révèle l'ampleur du logement insalubre. Les associations accusent la mairie d'avoir ignoré les alertes. Des milliers de personnes sont évacuées de logements déclarés en "péril imminent".

"Ça me hante chaque jour, en 24 ans je n'ai jamais connu un drame pareil", assure Jean-Claude Gaudin. Un aveu qui ne calme pas la colère : devant la mairie, des manifestants hurlent pendant des semaines "Gaudin, assassin !". Avant de tirer sa révérence politique en 2020, ce célibataire sans enfant avouait redouter "le téléphone qui ne sonne plus".