Les quadras du PS racontent leur François Mitterrand

François Mitterrand en 1991.
François Mitterrand en 1991. © AFP
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20 ans après la mort de François Mitterrand, ces quadragénaires députés ou ministres du PS ont confié à Europe 1 le souvenir qu’ils gardent du premier président socialiste de la Ve République.

Ils n'avaient connu à la tête de l'Etat que lui et avaient la vingtaine lorsque ce 8 janvier 1996, à 10h55 précisément, l’Agence France Presse publie cette dépêche : "François Mitterrand est mort annonce son secrétariat". Ces militants socialistes, dont enfance et adolescence ont été marquées par les septennats mitterrandiens, sont ensuite devenus députés ou ministres. Pour Europe 1, ils ont accepté de partager leurs souvenirs de l’ancien président de la République.

"J’ai reçu un petit camion rouge quand il a été élu". Elle est aujourd’hui ministre du Travail mais en 1988, au moment de la réélection de François Mitterrand, elle débarque tout juste de son pays natal, le Maroc. Myriam El Khomri confie à Europe 1 : "j’avais dix ans et j’ai encore aujourd’hui en mémoire son visage aussi impressionnant qu’apaisant apparaître à l’écran de télévision. J’avais conscience qu’il s’agissait là d’une personnalité politique majeure". Eduardo Rihan Cypel, député de Seine-et-Marine, arrive, lui aussi, d’un autre pays, le Brésil : "c’est le président qui m’a accueilli en France. J’avais 10 ans, c’était en septembre 1986. Pour moi, il protégeait les gens comme nous, les immigrés. C’était le gentil, Chirac le méchant et Jean-Marine Le Pen le très méchant qui voulait nous renvoyer d’où l’on venait".

Tous ont un souvenir très précis de ce fameux grand soir, le 10 mai 1981. "Je m’en souviens comme si c’était hier, il y a eu une explosion de joie dans ma famille", raconte Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres. "A l’école, j’avais chanté : 'Mitterrand président, Giscard au placard !'", ajoute-t-elle. "J’ai grandi avec Mitterrand", renchérit Pouria Amirshahi, député des Français de l’étranger. "J’ai même reçu un petit camion rouge en cadeau lorsqu’il a été élu !"

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Les années de militantisme. Beaucoup s’engagent au parti socialiste à l’adolescence lors du premier septennat de Mitterrand. "De manière indirecte, il m’a mis le pied à l’étrier", révèle Erwann Binet, député de l’Isère. "C’est Louis Mermaz qui m’a formé mais il m’a bercé d’anecdotes et de souvenirs de Mitterrand". Le conseiller départemental de l’Essonne, Jérôme Guedj raconte aussi : "lorsque j’ai commencé à militer avec Jean-Luc Mélenchon, il me disait : 'j'ai vu le vieux', en référence à Mitterrand, il y avait ce côté impénétrable et mystérieux".

Engagée au sein du syndicat FIDL, Delphine Batho aime rappeler qu’elle a alors rencontré plusieurs fois Mitterrand. "Lors d’un congrès du syndicat en 1990, un article du Monde relate la question d’une lycéenne à Mitterrand sur l’apartheid en Afrique du sud, eh bien cette lycéenne, c’est moi".

"Une source d’inspiration pour tous les responsables de gauche". Alors que retenir des années Mitterrand ? Pour tous, et sans grande surprise, beaucoup de bien. "François Mitterrand était socialiste, européen, visionnaire, épris de paix. Je n’ai pas eu la chance de le rencontrer mais il reste une source d’inspiration pour tout responsable politique de gauche", livre carrément Fleur Pellerin. La ministre de la Culture salue aussi "la plume et les qualités du polémiste François Mitterrand", elle qui confie avoir lu du président de la République, Le Coup d’Etat permanent, La paille et le grain et L’Autre Journal. Matthias Fekl, le secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, donne lui aussi dans les superlatifs : "Mitterrand, c’est le sens du temps long (...), le rapport charnel à notre pays, (...), l’indépendance à l’égard des modes, (...) et la volonté d’une France ouverte sur le monde qui mobilise sa jeunesse pour le transformer". Même tonalité du côté de Myriam El Khomri : "peu avant sa mort, alors étudiante en première année de droit à la fac de Bordeaux, à l’heure de mes premiers engagements, j’ai pris conscience grâce à lui de ce que la politique pouvait apporter de concret : changer la vie des gens".

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Les députés eux aussi reconnaissent une réelle stature d'homme d'Etat à Mitterrand. "Il avait une intimité avec la France très profonde qui manque à la classe politique française d’aujourd’hui", affirme Eduardo Rihan Cypel, pour qui le plus fondamental dans l’héritage mitterrandien reste "son choix décisif en faveur de l’Europe". "Mitterrand a dit : 'le nationalisme, c’est la guerre', je me le répète presque tous les jours lorsque j’entends des électeurs de l’extrême-droite ou même de la droite tentés par le nationalisme", ajoute Erwann Binet. Mais les parlementaires n’oublient pas non plus les affaires et la part sombre de Mitterrand. "Les dérives du deuxième septennat n’effacent pas la référence qu’il reste", tranche Delphine Batho. Pouria Amirshahi est encore plus direct : "Mitterrand, c’est aussi un espoir gâché, un espoir car il y a la fin de la peine de mort, la dépénalisation de l’homosexualité ou la retraite à 60 ans mais c’est aussi le goût de l’inachevé".

"Hollande et Mitterrand ont en commun la solitude du pouvoir". Il est le deuxième président socialiste de la Ve et leur président, celui pour qui ils ont fait campagne. Si certains refusent à l’instar de Delphine Batho de faire la moindre comparaison entre Mitterrand et Hollande, d’autres n’y résistent pas. "Comme chez François Mitterrand, je reconnais en François Hollande la solitude du pouvoir lorsqu’ils doivent prendre seuls leurs décisions", rélève Erwann Binet. Jérôme Guedj note lui que "tous les deux se sont coulés dans les habits de la Vème. Mitterrand use et abuse de tous les moyens de la Ve et malheureusement, il ne modernise pas les institutions. Et bien, pour ce deuxième président de gauche, c’est un peu la même chose. C’est normal, Hollande a été au cabinet de Mitterrand, il y a du mimétisme".

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Pouria Armishahi, frondeur invétéré, dresse, lui, une comparaison très peu flatteuse pour Hollande : "Mitterrand voulait l’union de la gauche, Hollande ne le voulait pas. Mitterrand n’avait pas peur des audaces de l’histoire, ce qui n’est pas le cas de Hollande". "Je n’ai aucune indulgence pour les affaires de Mitterrand", poursuit-il, "mais lorsqu’il pratiquait l’ouverture, il le faisait sans jamais déstabiliser son propre camp, ce qui n’est pas le cas de Hollande et de Valls qui piétinent le leur".