Les attentats ou faits divers ont-ils déjà eu un impact sur la présidentielle ?

En 2002, le visage tuméfié de "Papy Voise" avait marqué l'opinion. Et la surmédiatisation de son agression avait précipité l'élimination de Lionel Jospin dès le premier tour.
En 2002, le visage tuméfié de "Papy Voise" avait marqué l'opinion. Et la surmédiatisation de son agression avait précipité l'élimination de Lionel Jospin dès le premier tour. © ALAIN JOCARD / AFP
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La présidentielle de 2017 n’est pas la seule à avoir été marquée par des faits divers ou des attentats. Avec des conséquences diverses sur le vote. 

Le terrorisme a de nouveau frappé Paris jeudi soir, sur les Champs-Elysées. A trois jours seulement du premier tour de l’élection présidentielle, et même à la veille de la clôture de la campagne officielle. Difficile de prédire quelles conséquences aura cet attentat, dans lequel un policier a trouvé la mort, sur le vote des Français. Sinon en s’appuyant sur des précédents. Avant 2017, d’autres campagnes présidentielles ont en effet été marquées par des attentats ou des faits divers qui ont frappé l’opinion. Parfois avec des conséquences indéniables sur le scrutin.

 

  • 2012 : les tueries de Mohamed Merah

Entre le 11 mars et le 22 mars 2012, à un mois du premier tour, la France découvre, horrifiée, Mohammed Merah. Après avoir assassiné trois militaires à Toulouse et Montauban, le terroriste fait irruption le 19 mars dans une école juive et abat froidement un adulte et trois enfants. La France est sidérée, et la campagne électorale est suspendue, le temps du deuil. La trêve est globalement respectée, même si François Hollande et Jean-Luc Mélenchon déclenchent un début de polémique en dénonçant des manquements des services chargés de surveiller Mohammed Merah, qui sera abattu par le Raid le 22 mars.

Des observateurs prévoient que ces attentats favoriseront Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen, mais finalement, après un mois de campagne, il n’en est rien. La présidente du Front national est éliminée dès le premier tour, et Nicolas Sarkozy, le président sortant, s’incline face à François Hollande au second tour. "La question à l’époque n’était pas : qui peut faire reculer le terrorisme ? C’était : est-ce qu’on a encore envie de Sarkozy ?", analyse pour europe1.fr le politologue Olivier Duhamel.  "Et c’est cette question qui est restée, contrairement à ce qu’espéraient les sarkozystes.  Et puis il ne s’était pas passé tout ce qu’il s’est passé ces dernières années, donc c’était plus difficile à instrumentaliser", juge celui qui a animé à l’été 2016 Histoires de présidentielle, sur Europe 1.

  • 2002 : l’affaire Papy Voise

La campagne présidentielle est marquée pendant de longues semaines par une forte médiatisation des faits de délinquance. Au pont que le thème de l’insécurité devient un thème central. L’apothéose a le 19 avril, à deux jours du premier tour. La veille, Paul Voise, un retraité habitant de Lailly-en-Val, dans le Loiret, est victime d’une agression et de l’incendie de son pavillon. TF1 décide de consacrer une grande part de son 20-Heures au sort de celui qui est rebaptisé "Papy Voise". Le visage tuméfié et les pleurs du vieil homme marquent les esprits.

Entendu sur europe1 :
2002, c'est l'exemple absolu

Le lendemain, 20 avril, LCI, la chaîne info du groupe TF1, rediffuse 19 fois le sujet. Et le soir, la première chaîne, mais aussi France 2, décident à nouveau de revenir (très) longuement sur cette affaire. Le 21 avril 2002, c’est finalement le visage de Jean-Marie Le Pen qui s’affiche au côté de celui de Jacques Chirac. Et Lionel Jospin est éliminé.

"C’est l’exemple absolu. L’affaire a clairement été surmédiatisée, et il y a eu un effet Le Pen", estime Olivier Duhamel, qui n’exonère pas non plus Lionel Jospin de toute responsabilité, en rappelant son aveu formulé fin mars sur TF1. L’ex-Premier ministre avait alors admis avoir "péché par naïveté" en jugeant que la baisse du chômage, effective à l’époque, ferait mécaniquement baisser l’insécurité. Une erreur funeste.

  • 1988 : L’assaut  d’Ouvéa

Le 5 mai 1988, à trois jours du second tour de l’élection présidentielle opposant le Premier ministre Jacques Chirac au président de la République François Mitterrand, un assaut militaire est donné sur la grotte d’Ouvéa, où sont retenus depuis le 22 avril 27 otages par des indépendantistes kanaks. Le bilan est lourd : 19 preneurs d’otages et deux gendarmes trouvent la mort. Le chef de l’Etat déplore le "bilan douloureux" de l'opération, le Premier ministre adresse lui ses "chaleureuses félicitations" aux forces de l’ordre. Le 8 mai, François Mitterrand est réélu dans un fauteuil.

"Cette affaire, finalement, n’avait pas joué", assure Olivier Duhamel. "Pour une raison simple : François Mitterrand avait donné le feu vert à l’opération justement pour que Jacques Chirac ne puisse pas l’utiliser contre lui. Et ce contre l’avis de certains de ses conseillers. Mais François Mitterrand voulait plus que tout rester au pouvoir", explique le politologue.

  • Et 2017 ?

Pour Olivier Duhamel, l’attaque des Champs-Elysées n’aura pas le même impact qu’en 2002. "Ce qui était reproché à Lionel Jospin en 2002, c’était une forme de laxisme par rapport à la délinquance", rappelle-t-il. "Cette fois, on ne peut pas imputer au pouvoir en place un certain laxisme, alors qu’on est en état d’urgence depuis novembre 2015. Ce n’est pas sérieux." En outre, rares sont les événements qui ont un effet immédiat sur le vote, comme un débat ou une victoire à la primaire", estime le politologue. "Pour qu’un événement comme un attentat ait un effet, il doit être digéré sans être oublié. Il faut que plusieurs jours se passent avant que les électeurs l’intègrent".

" Les grands équilibres ne seront pas bouleversés à la suite de cet attentat "

"L'impact ne peut être que limité compte tenu de l'intériorisation par les Français de la menace terroriste", estime de son côté Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l'Ifop, interrogé par Reuters. "Les indécis pèsent leur choix ou sont dans la stratégie. La part d'émotion dans le vote est très modeste", juge de son côté Céline Bracq, directrice générale d'Odoxa. "Le choix des électeurs est très raisonné et les grands équilibres ne seront pas bouleversés à la suite de cet attentat", insiste-t-elle.

Mais si impact il y a, alors Marine Le Pen et François Fillon sont ceux qui peuvent espérer en bénéficier. "La concordance entre le discours de Marine Le Pen et les attentats, quand elle parle par exemple de la dangerosité des fichés S, peut la favoriser sur le mode, 'elle dresse un constat juste sur l'état de la société'", admet Frédéric Dabi. Selon Jean-Daniel Lévy, de l’institut Harris Interactive, "il y a pour les Français deux types de candidats ayant une posture sur le sujet : les candidats de droite, aujourd'hui François Fillon et Marine Le Pen, et puis traditionnellement le candidat qui est au pouvoir. Reste à savoir si Emmanuel Macron va être identifié comme tel", ajoute-t-il. Il faudra rester prudent quant à l’influence réelle de l’attentat, mais les résultats de dimanche, à 20 heures, donneront des éléments de réponses à cette interrogation.