Favori devenu outsider, Alain Juppé face à un second tour délicat

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Qualifié pour le second tour de la primaire de la droite, le maire de Bordeaux doit néanmoins se contenter de la deuxième place, (très) loin derrière François Fillon.

Jusqu'au bout, ils avaient joué la prudence, répétant à l'envi que rien n'était joué. Dimanche, au soir du premier tour de la primaire à droite, Alain Juppé et ses soutiens n'ont pu que se féliciter de n'avoir pas péché par arrogance. Le maire de Bordeaux, qui a fait la course en tête dans les sondages depuis un an, n'est arrivé qu'en deuxième position. Avec 28,5% des voix, selon des résultats toujours provisoires, il est devancé par François Fillon, qui a recueilli 44,1% des suffrages.

La dynamique est pour Fillon. Certes, Alain Juppé s'est qualifié sans ambiguïté, reléguant Nicolas Sarkozy à la troisième place, sous la barre des 21% de votes. Mais l'ancien Premier ministre ne peut que se préparer à un second tour difficile. Porté par des sondages en constante augmentation ces trois dernières semaines, François Fillon bénéficie d'une incontestable dynamique. Il a plus de 15 points d'avance sur le maire de Bordeaux, ce qu'aucune enquête d'opinion n'a su prévoir. À titre de comparaison, François Hollande n'en avait "que" 9 sur Martine Aubry à l'issue du premier tour de la primaire socialiste en 2011. Et le premier sondage sur le second tour, publié par OpinionWay dimanche soir, donne au député de Paris une confortable avance sur Alain Juppé, avec 56% des suffrages.

En outre, François Fillon a d'ores et déjà reçu des soutiens de poids : Nicolas Sarkozy, mais aussi Bruno Le Maire, ont appelé à voter pour lui. À tous les deux, les candidats malheureux représentent un réservoir de voix potentiel de 23%. Alain Juppé, lui, a pu compter sur le ralliement de Nathalie Kosciusko-Morizet.  Mais la députée de l'Essonne plafonne à 2,6% des suffrages. Les chiffres sont cruels pour le camp Juppé.

"Continuer le combat". Dimanche soir, celui qui a troqué son statut de favori pour le costume d'outsider a néanmoins tenu à se montrer déterminé. "J'ai décidé de continuer le combat", a-t-il lancé devant des militants survoltés. "C'est un combat projet contre projet qui s'engage." La stratégie choisie par Alain Juppé, qui ne peut plus compter sur un front anti-Sarkozy, apparaît claire : rester "droit dans ses bottes" de candidat du rassemblement avec le centre, et attaquer François Fillon sur certains aspects précis de son programme.

Des attaques sur le programme économique… Sur les questions économiques par exemple, le maire de Bordeaux et le député de Paris défendent tous les deux un projet libéral. Mais le second place tout de même le curseur plus loin, ce qu'Alain Juppé a déjà pris soin de souligner. "François Fillon se présente comme le candidat qui a le programme le plus audacieux. Moi, je dis que c'est le programme le moins crédible", a-t-il asséné vendredi sur France Info. Mentionnant notamment les suppressions de postes de fonctionnaires promises par l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy, Alain Juppé a assuré que "cela ne se fera[it] pas". "Il n'est pas possible de supprimer 500.000 (les chiffres ont varié, d'abord c'était 600) postes de fonctionnaires ou emplois publics."

…mais surtout sur les questions de société. Mais c'est probablement sur les questions sociétales qu'Alain Juppé trouvera les meilleurs angles d'attaque. Car il est difficile de trouver plus opposé que les deux hommes en la matière. Le maire de Bordeaux s'est positionné comme l'un des plus progressistes de tous les candidats de la primaire, défendant par exemple le mariage homosexuel. "Je veux des réformes modernes qui préparent l'avenir plutôt que de cultiver la nostalgie du passé", a-t-il déclaré dimanche soir. "Qui nous fassent avancer sur le chemin d'une stricte égalité entre les femmes et les hommes, d'une nouvelle croissance, d'une transformation numérique maîtrisée."

À l'inverse, François Fillon, catholique traditionnel, assume son conservatisme. Soutenu par Sens commun, mouvement issu de la Manif pour Tous, le Sarthois a exprimé son désaccord personnel avec le droit à l'avortement -tout en promettant de ne pas revenir dessus- et reste le seul candidat du scrutin -Jean-Frédéric Poisson excepté- à vouloir revenir sur la loi Taubira. Des positions tranchées qui, espère-t-on dans le clan Juppé, vont mobiliser contre lui. "La droite française n'est pas toute entière réactionnaire, on a encore une chance", estimait dimanche soir l'un des stratèges de la campagne du maire de Bordeaux.

La difficile étape du débat d'entre-deux tours. Pour Alain Juppé, le plus difficile commence donc maintenant. Une réunion de lancement de la campagne d'entre-deux tours se tient lundi matin dans son QG pour organiser la semaine. Deux meetings, l'un mardi à Toulouse, l'autre vendredi à Nancy, sont d'ores et déjà prévus. Le candidat va également devoir se préparer soigneusement au débat de jeudi soir. Et ce d'autant plus que c'est dans cet exercice que François Fillon s'est particulièrement illustré ces dernières semaines. Plus à l'aise qu'Alain Juppé, qui était apparu en retrait, l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy avait su convaincre les téléspectateurs pendant les trois premiers grands oraux.

Miser sur une "autre surprise". Chez les juppéistes, il reste encore un élément pour se rassurer : rien, dans cette primaire, ne se sera passé comme prévu. De nouveaux rebondissements ne sont donc pas à exclure. "Ce premier tour constitue une surprise. Dimanche prochain, si vous le voulez comme je le veux, sera une autre surprise", a d'ailleurs lancé Alain Juppé à ses soutiens après le premier tour. Parce que le scrutin est inédit à droite, il est impossible d'anticiper avec précision les reports de voix. D'autant que dans l'entourage des battus, des premières dissensions apparaissent déjà. Franck Riester, porte-parole de Bruno Le Maire, s'est par exemple déjà dit plus proche du maire de Bordeaux, alors que son candidat d'origine a rallié l'adversaire. La semaine s'annonce rude pour le clan Juppé.