Emplois familiaux : comment expliquer le vote surprise du Sénat ?

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© LIONEL BONAVENTURE / AFP
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Contre toute attente, le Sénat a retoqué mardi soir l’interdiction pour les parlementaires d’embaucher un membre de sa famille. Une décision pas si dénuée de sens, mais potentiellement impopulaire. 

Quelle mouche a donc piqué les sénateurs ? Au milieu de la nuit de mardi à mercredi, contre l’avis du gouvernement mais aussi de sa propre commission des Lois, la Chambre Haute a purement et simplement supprimé de la loi de moralisation de la vie politique, la future interdiction faite aux parlementaires d’embaucher un membre de sa famille comme assistant parlementaire. Une disposition pourtant largement plébiscitée dans l’opinion française depuis le PenelopeGate, de sinistre mémoire pour François Fillon.

  • Ce qui compte, c’est l’emploi fictif

Le premier argument des sénateurs, qui étaient une quarantaine au moment du vote, et qui se sont prononcés à main levée sur cet amendement dit de retrait, c’est que le sujet n’est pas l’emploi ou non d’un membre de sa famille, mais la réalité de cet emploi. "La priorité est plutôt de s'assurer que les moyens alloués aux parlementaires pour rémunérer leurs collaborateurs soient utilisés à rémunérer des personnes qui assistent effectivement les parlementaires dans leurs fonctions, plutôt que d'introduire des dispositions discriminantes dont les effets sur l'amélioration du travail législatif sont hypothétiques", a argué Jacques-Yves Collombat, sénateur PRG, qui a présenté l’amendement.

"Sur le fond, la motivation est pertinente. Il ne s’agit pas d’interdire, mais de contrôler", analyse pour europe1.fr Pascal Jan, professeur de droit public à Sciences-Po Bordeaux. "Mais le contexte est quand même très particulier. Les Français veulent voir la fin de ce qu’ils perçoivent comme des privilèges."

  • Déjà des contrôles au Sénat

L’autre argument, brandi notamment par la socialiste Catherine Tasca, c’est que le Sénat exerce déjà un contrôle sur les emplois familiaux. "Nous critiquons depuis des années la tentation de légiférer d'après des faits divers. Là nous avons un texte tiré de l'affaire des emplois de la famille Fillon", s’est agacée l'élue des Yvelines. "Plus que d'emplois familiaux, il s'agit d'emplois fictifs et hors normes. Il suffirait plutôt d'encadrer les emplois familiaux comme le fait le Sénat", a-t-elle proposé en séance.

En effet, il existe déjà des règles pour encadrer les emplois familiaux de la part des sénateurs. D’abord un élu de la Chambre haute ne peut embaucher qu’un seul collaborateur familial, à savoir les parents, l’époux ou l’épouse, les enfants et leurs conjoints. Ensuite, si l’assistant engagé a le même domicile fiscal, ce qui est souvent le cas du conjoint, sa rémunération est plafonnée à 2.516 euros brut. Une majoration, jusqu’à 3.774 euros brut, est admise quand l’assistant dispose d’un domicile fiscal distinct. En la matière, les règles sont beaucoup plus strictes qu’à l’Assemblée, où le nombre d’emplois familiaux n’est pas limité, et le plafond est fixé à 4.800 euros brut environ.

"Là encore, l’argument est juste", convient Pascal Jan. "Mais il n’y a pas de loi, donc pas de norme. Or, une loi, ça évite les dérives de certains, qui, en absence de règles, abusent. Pour cette raison, la loi peut avoir un intérêt.

  • Des motivations politiques ?

Reste des desseins sans doute plus politiques. Et si le Sénat avait eu la volonté d’envoyer un signal en ce début de quinquennat ? "Il y a certainement du calcul politique, peut-être une volonté de s’affirmer face au gouvernement", confirme Pascal Jan. "Mais c’est une stratégie périlleuse, parce que les Français n’acceptent plus ces pratiques", poursuit l’universitaire, sceptique. "Je pense que la vraie affirmation politique interviendra plus tard, après le renouvellement du Sénat, à la fin du mois de septembre."

Conscient que la décision du Sénat pourrait être mal perçue, Philippe Bas, rapporteur du projet de lui sur la moralisation de la vie politique, a décidé de représenter l’article supprimé. "Je demanderai au Sénat de prendre ses responsabilités", explique le sénateur LR des Yvelines. "Je considère que le vote intervenu cette nuit est un vote accidentel par rapport aux décisions prises par les groupes politiques. Du coup, avant la fin du débat, nous demanderons, et je pense nous obtiendrons, la fin des emplois familiaux pour les parlementaires", a-t-il assuré. Et le Sénat éviterait alors le mécontentement de l’opinion.